COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE

 

 

 

 

 

UN RAPPORT SUR LA MODERNISATION DU SYSTÈME DE MISE EN LIBERTÉ SOUS CAUTION POUR UNE SÉCURITÉ ACCRUE

 

 

 

 

 

 

1re session, 43e législature

1 Charles III

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ISBN 978-1-4868-6871-1 (Imprimé)
ISBN 978-1-4868-6872-8 [Anglais] (PDF)
ISBN 978-1-4868-6874-2 [Français] (PDF)
ISBN 978-1-4868-6873-5 [Anglais] (HTML)
ISBN 978-1-4868-6875-9 [Français] (HTML)

 

 

 

 

 

 

L’honorable Ted Arnott

Président de l’Assemblée législative

 

 

 

Monsieur le président,

 

 

 

Le comité permanent de la justice a l'honneur de présenter son rapport et de le confier à l'Assemblée.

 

 

 

Le président du comité,

Coe signature

 

Lorne Coe

 

 

 

Queen's Park

Mars 2023

 

 

 

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE

LISTE DES MEMBRES

1re session, 43elégislature

LORNE COE

Président

SOL MAMAKWA

Vice-président

ROBERT BAILEY                        NATALIA KUSENDOVA-BASHTA

STEPHEN BLAIS                                                  BRIAN RIDDELL

CHRISTINE HOGARTH                              BRIAN SAUNDERSON

TREVOR JONES                           JENNIFER (JENNIE) STEVENS

Chatham-KentLeamington

VINCENT KE                                                KRISTYN WONG TAM

 

JESS DIXON et JOHN VANTHOF ont régulièrement été membres suppléants du comité.

 

THUSHITHA KOBIKRISHNA

Greffière du comité

 

ANDREW MCNAUGHT

Recherchiste

 

 

 

Introduction

Le 27 décembre 2022, l’agent Grzegorz Pierzchala de la Police provinciale de l’Ontario était tué par balle, lors de ce qui semblait être un contrôle routier ordinaire près de Hagersville, en Ontario.

Il venait d’apprendre, plus tôt cette journée-là, qu’il avait réussi sa période probatoire de 10 mois au service de police.

L’agent Pierzchala avait 28 ans. Il est le quatrième agent ontarien à avoir été tué en service dans les derniers mois de 2022.

Selon l’information rendue publique, une des deux personnes arrêtées et accusées de ce meurtre avait de lourds antécédents judiciaires, et un comportement violent en général. Parmi ces antécédents criminels, notons :

· une déclaration de culpabilité avec peine d’emprisonnement pour vol qualifié assortie d’une interdiction à perpétuité de posséder une arme à feu, en 2018;

· des accusations en instance d’agression et d’infractions liées aux armes en 2021;

· un mandat d’arrestation non exécuté délivré en septembre 2022 pour omission de se présenter en cour.

Or, si on lui a initialement refusé une libération sous caution à l’égard des accusations de 2021, celle-ci lui a été accordée après révision. Ainsi, le suspect était en liberté sous caution au moment de la fusillade.

Pour Thomas Carrique, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, le meurtre de l’agent Pierzchala était « évitable ». Il s’est dit outré qu’une personne avec de tels antécédents puisse être libérée sous caution. Il a ajouté que « les choses devaient changer ».

À peine quelques semaines auparavant, en octobre 2022, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux de la justice et de la sécurité publique s’étaient réunis à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Cette rencontre s’est traduite par un « appel à l’action clair et unanime pour la réforme, par le gouvernement fédéral, du système de mise en liberté sous caution ».

Le 13 janvier 2023, les premières ministres et premiers ministres des dix provinces et trois territoires du Canada ont écrit à l’honorable Justin Trudeau pour l’exhorter à prendre des mesures immédiates visant à resserrer le système canadien de mise en liberté sous caution. Outre un examen général pour déterminer quelles infractions impliquant des armes à feu devraient porter inversion du fardeau de la preuve aux fins de la mise en liberté sous caution, elles et ils proposaient de modifier le Code criminel pour inverser le fardeau en particulier dans les cas de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée. (Voir la lettre à l’annexe B.)

Le 18 janvier 2023, le Comité permanent de la justice a adopté une motion, en vertu de l’alinéa 113 a) du Règlement, visant la réalisation d’une étude sur les implications d’une éventuelle réforme du système de mise en liberté sous caution du Canada pour l’administration de la justice en Ontario dans les cas d’accusation pour infraction violente ou liée aux armes et armes à feu (annexe A).

Le présent rapport s’appuie sur les témoignages entendus lors des audiences publiques qui se sont déroulées à Toronto les 31 janvier et 1er février 2023, et sur les mémoires reçus avant la date limite établie par le Comité. Il reflète la vision d’un éventail d’organismes et de particuliers, dont le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, des chefs de police, des associations policières, des commissions des services policiers, des groupes de défense des libertés civiles et militant pour la réforme des services correctionnels, des organismes représentant les avocates et avocats criminalistes, des universitaires et des groupes autochtones. (La liste des témoins est fournie à l’annexe C.)

Le Comité tient à remercier toutes les personnes qui ont pris le temps de présenter leurs observations en personne ou dans un mémoire.

Par ailleurs, il soumet le présent rapport non sans reconnaître que beaucoup de problèmes de longue date font obstacle à la réforme du système de mise en liberté sous caution. Parmi eux, le fait que l'on compte généralement, en prison, plus d’adultes en attente de leur procès que de personnes servant leur peine, et que, selon les données probantes, les groupes désavantagés comme les Autochtones et les personnes ayant un trouble de santé mentale ou à faible revenu sont moins susceptibles d’obtenir une libération sous caution.

Les législateurs devront certes se pencher attentivement sur ces enjeux, comme sur bien d’autres, mais ici, il s’agit de déterminer les mesures à prendre pour mieux protéger les agentes et agents de police et la population en général. Le Comité propose donc deux catégories de recommandations :

· Celles qui s’adresseront au gouvernement fédéral, afin qu’il modifie le Code criminel pour resserrer le système de mise en liberté sous caution en ce qui a trait aux infractions violentes ou relatives aux armes et armes à feux.

· Celles qui s’adresseront au gouvernement provincial, afin qu’il apporte des changements dans l’administration de la justice pour améliorer le fonctionnement du système de mise en liberté sous caution en Ontario.

Réforme du système de mise en liberté sous caution

Importance d’une réforme

Les autorités en matière de services policiers de la province s’entendent pour dire qu’une réforme du système de mise en liberté sous caution sauverait des vies. À leurs yeux, la mort de l’agent Pierzchala n’était pas un incident isolé, mais le résultat inévitable d’un système depuis longtemps défaillant.

Selon Thomas Carrique, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, il n’est « pas rare » de voir des personnes ayant des antécédents de violence récidiver durant leur libération sous caution. En fait, l’Association canadienne des chefs de police avait déjà soulevé le problème il y a près de 15 ans, en 2008, année où elle a adopté une résolution demandant au gouvernement fédéral de resserrer les lois en matière de libération sous caution et de détermination des peines afin de protéger le public contre les contrevenantes et contrevenants « qui ont clairement prouvé leur disposition incessante à adopter un comportement criminel qui a des répercussions directes sur des citoyennes et citoyens ».

Le commissaire Carrique a souligné, comme on l’a fait en 2008, que la plupart des crimes au Canada sont attribuables à une minorité de contrevenantes et contrevenants. Or, même si près de 15 ans se sont écoulés, « aucune mesure concrète n’a été prise » pour pallier le fait que le danger posé par ce petit groupe « n’est pas bien évalué » lorsque des libérations sous caution sont accordées et que les peines sont déterminées.

De plus, il a dit au Comité avoir écrit à Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique du Canada, pour lui demander d’envisager une « réforme considérable du système de mise en liberté sous caution » afin de répondre à la menace que posent, pour les agentes et agents et la sécurité publique et le public, les personnes violentes récidivistes accusées d’infractions violentes ou liées aux armes à feu qui sont mises en liberté sous caution.

Pour souligner l’urgence de la situation, le commissaire a demandé au ministre de considérer ce que l’on sait d’un des suspects arrêtés pour le meurtre de l’agent Pierzchala :

· Il avait des antécédents de violence, dont des déclarations de culpabilité au criminel pour vol qualifié avec une arme à feu, agression armée, possession d’arme et voie de fait.

· Il s’était vu imposer une interdiction de posséder des armes pendant cinq ans en 2015 et pendant 10 ans en 2016, puis une interdiction de possession d’armes pendant un autre 10 ans et une autre pour les armes à feu à perpétuité en 2018.

· Au moment du décès de l’agent Pierzchala, le suspect était sous le coup de conditions de cautionnement, qui lui interdisaient notamment posséder des armes et des munitions.

· Ces conditions découlaient d’actes commis en 2021 : voies de fait alléguées sur trois victimes, dont un agent de la paix; possession d’une arme prohibée malgré une interdiction; possession non autorisée d’une arme à feu; port d’une arme dissimulée; possession d’une arme dont le numéro de série avait été modifié; usage, port, transport ou entreposage négligent d’une arme à feu; et accusations de méfait et de voies de fait.

· Le suspect avait déjà à son dossier cinq déclarations de culpabilité pour non-respect d’une ordonnance judiciaire.

· Il avait retiré le bracelet électronique (GPS) qu’il devait porter durant sa libération sous caution.

Or, « malgré tout cela », a ajouté le commissaire, le suspect a été libéré sous caution après révision de la décision initiale.

Nous avons aussi entendu des associations policières représentant des milliers d’agentes et agents de police de la province, qui ont exprimé la frustration de leurs membres concernant ce qu’ils considèrent comme une approche de type « attrapez et relâchez ». John Cerasuolo, président de l’Association de la Police provinciale de l’Ontario, a lu l’extrait ci-dessous d’un courriel qu’il a reçu d’un sergent à la retraite ayant travaillé dans le Nord de l’Ontario :

L’expression « attrapez et relâchez » décrit tout à fait ce qui se passe sur le terrain. Durant mes longues années de service, beaucoup de mes agentes et agents se plaignaient amèrement de devoir appréhender toujours les mêmes contrevenantes et contrevenants, qui avaient été libérés plutôt que laissés derrière les barreaux jusqu’à leur comparution en cour.

Selon Mark Baxter, président de l’Association des policiers de l’Ontario, non seulement cette approche met à risque le public, mais elle donne aussi lieu à une escalade des comportements violents :

Nos membres sont frustrés d’un système qui ne priorise pas la sécurité des gens. Frustrés d’arrêter un jour une personne contrevenante connue, et d’avoir à l’appréhender de nouveau le lendemain, au même endroit et pour la même raison. […] Trop souvent, on constate à chaque remise en liberté une escalade des comportements de la personne et une assurance accrue dans ses choix négatifs, jusqu’à ce qu’elle devienne violente, ou encore plus violente, et que quelqu’un soit blessé ou tué.

De la même façon, Jon Reid, président de la Toronto Police Association, a indiqué que ses membres « en ont plus qu’assez », relatant un incident de 2021 où des cambrioleurs de banque armés ont blessé gravement deux agents de police en tenue civile alors que ces derniers procédaient à leur arrestation. Un des accusés a été libéré sous caution dans les 24 heures, « avant même que les agents aient pu obtenir leur congé de l’hôpital ». M. Reid concluait ainsi une lettre d’opinion :

Si notre système de mise en liberté sous caution est conçu ou interprété de façon à justifier la libération de personnes dans ces circonstances, quel est le message envoyé à la population qu’il sert? La réponse est simple : cela envoie le mauvais message aux personnes qui protègent nos collectivités et à celles qui aspirent à vivre dans une société juste et paisible. La confiance dans l’administration de la justice s’en trouve minée.

D’ailleurs, les observations des agentes et agents de première ligne semblent être corroborées par les données empiriques présentées au Comité par Myron Demkiw, chef du Service de police de Toronto :

table 1

table 2

table 3

Le commissaire Carrique a aussi présenté des données, colligées par la Police provinciale, qui établissent un lien entre les libérations sous caution et les crimes avec violence. En 2021 et 2022, 587 personnes récidivistes violentes ont enfreint leurs conditions de libération sous caution, ce qui a mené à un total de 1 675 inculpations. De ce nombre, 464 étaient impliqués dans des crimes graves avec violence, et 56 de ces crimes ont été perpétrés avec une arme à feu. Selon le commissaire, « ces données sont inquiétantes et révèlent un urgent besoin de changement ».

Un autre enjeu militant pour la réforme du système de mise en liberté sous caution est ressorti durant les audiences, à savoir les répercussions potentielles d’incidents tragiques comme la mort de l’agent Pierzchala sur le moral des agentes et agents et sur la capacité de recrutement des services de police.

Selon le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, les conséquences de ces incidents sont « dévastatrices » pour le bien-être psychologique des troupes. Il a ajouté au surplus que la situation actuelle était « la pire [qu’il avait] vue, côté recrutement, durant [ses] 33 ans de carrière ».

Le président de l’Association des policiers de l’Ontario a aussi abordé la question du moral des agentes et agents :

C’est très difficile pour le moral des troupes. Nos membres sont frustrés, fatigués et bien souvent, inquiets. Les quatre agents de police tués en Ontario dans les quatre derniers mois ont tous été piégés. Tués parce qu’ils portaient l’uniforme, et délibérément ciblés. L’information qui émerge sur [ces décès] nous indique que les victimes auraient pu être n’importe quels agentes et agents. L’effet est indéniable, notamment sur le bien-être des membres et leur santé mentale. L’idée d’aller au travail devient anxiogène, car elles et ils ne savent pas ce qui les attend.

Arguments contre l’ajout de restrictions

D’autres témoins voyaient d’un autre œil la question de la réforme du système de mise en liberté sous caution. Parmi eux, des avocates et avocats criminalistes, des groupes de défense des libertés civiles et de promotion d’une réforme correctionnelle, des fournisseurs de services communautaires, des organismes en santé mentale et des universitaires.

Ces témoins étaient d’avis que l’ajout de restrictions législatives concernant les libérations sous caution serait contre-productif, insistant sur la nécessité que toute réforme s’appuie sur des données probantes.

À tous égards croient-ils, des restrictions supplémentaires ne sont pas nécessaires. Contrairement à ce qui est véhiculé dans les médias, les lois et pratiques actuelles en matière de libération sous caution ne sont pas « clémentes ». Le Code criminel comporte déjà plusieurs dispositions portant inversion du fardeau de la preuve pour les infractions relatives aux armes à feu et à la violence conjugale, et autorise déjà la détention préalable au procès pour assurer la sécurité publique. En outre, selon le Manuel de poursuite de la Couronne, les procureures et procureurs de la Couronne doivent demander la détention dans tous les cas d’infractions liées aux armes à feu.

Les statistiques concernant le nombre de personnes en détention provisoire dans les prisons ontariennes prouvent par ailleurs que le système de libération sous caution s’est resserré, et non assoupli. Dans les années 1980 et 1990, ces personnes comptaient pour 23 % à 30 % de la population carcérale. Elles comptent aujourd’hui pour plus de 70 % de cette population en Ontario, l’un des endroits où cette proportion serait la plus élevée[1].

En outre, de l’avis de ces intervenantes et intervenants, un resserrement des restrictions en matière de libérations sous caution ne ferait qu’exacerber les inégalités qui perdurent dans le système de justice pénale. Elles et ils nous ont notamment demandé de considérer le fait que les personnes noires et autochtones, et celles en situation de pauvreté, d’itinérance ou aux prises avec des troubles de santé mentale sont déjà surreprésentées parmi celles admises en détention préalable au procès. En effet, bien qu’elles ne représentent que 5 % de la population adulte en Ontario, les personnes adultes noires comptent pour 14 % de ces admissions. Pour leur part, les Autochtones comptent pour 2,9 % de la population, mais pour 17 % de ces admissions[2]. Par ailleurs, des données probantes indiquent que les personnes qui n’ont pas d’adresse fixe sont plus susceptibles de se voir refuser une libération sous caution que les autres. C’est pourquoi il a été avancé que des lois plus sévères en la matière ne feraient qu’aggraver la surreprésentation de ces groupes, et mineraient les efforts déployés pour lutter contre la discrimination systémique.

Comme le note l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry (ACSEF), le Bureau du coroner en chef a récemment publié un rapport sur les conditions dans les prisons de l’Ontario qui révélait des problèmes de surpopulation et de mauvais traitements, et un manque de soutien et de programmes. Selon l’ACSEF, il serait difficile de prétendre, à la lumière de ces conclusions, qu’une augmentation des détentions préalables au procès améliorerait la sécurité publique; elle risquerait plutôt de causer des torts importants aux personnes visées et au public. Dans son mémoire à l’intention du Comité, Jennifer Foster explique que la détention force la personne à « s’endurcir » pour s’adapter, et que, « même si elle n’est pas déclarée coupable », la personne continue sur cette voie après sa libération, ce qui augmente son besoin de soutien et de traitement pour se remettre de son expérience correctionnelle.

Selon les témoins, il est irréaliste de penser que notre système de justice pénale puisse éliminer tous les risques. Pour l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), ce n’est pas parce que la personne enfreint les ordonnances judiciaires qu’elle est dangereuse; nous continuons d’imposer des conditions de libération comme le couvre-feu ou l’interdiction de retourner à la maison ou de posséder de la drogue ou de l’alcool. Selon l’ACLC, si les gens enfreignent leur ordonnance judiciaire, c’est rarement par manque de respect à l’égard du tribunal, mais plutôt par réflexe de survie. De telles restrictions supplémentaires seraient donc pratiquement vouées à l’échec.

Les membres du Comité ont donc été invités à considérer que, particulièrement dans le cas des jeunes, la réadaptation et la réinsertion sont la clé de la protection du public à long terme. Pour atteindre ces objectifs, il faut régler rapidement les dossiers jeunesse, et donner accès à des services communautaires et à la famille.

Propositions visant à modifier le Code criminel

En vertu de la constitution canadienne, le gouvernement fédéral a l’autorité exclusive de légiférer en matière pénale, notamment sur « la procédure en matière criminelle »[3].

Or les mises en liberté sous caution relèvent de la procédure en matière criminelle. Toute réforme législative dans ce domaine est donc de compétence fédérale.

Les recommandations visant à modifier le Code criminel qui sont exposées dans cette section s’adressent donc au gouvernement fédéral, en vue d’une action immédiate.

Infractions portant inversion du fardeau de la preuve

Sous le régime du Code criminel, il revient généralement à la poursuite (la Couronne) de prouver à la ou au juge ou juge de paix qu’une détention préalable au procès est justifiée.

En effet, la Couronne doit prouver que la détention de la personne accusée est nécessaire pour au moins l’un de ces trois motifs :

· Pour assurer sa présence au tribunal;

· Pour la protection ou la sécurité du public;

· Pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice[4].

En revanche, le Code a toujours (du moins depuis la modernisation du système de mise en liberté sous caution au début des années 1970) reconnu certaines circonstances justifiant l’inversion du fardeau de la preuve, où c’est à la personne accusée qu’il incombe de prouver qu’elle peut être libérée en attendant son procès. La liste de ces infractions portant inversion du fardeau de la preuve s’est allongée au fil des ans, et comprend aujourd’hui :

· les meurtres au premier ou deuxième degré;

· les actes criminels commis par une personne mise en liberté sous caution à l’égard d’un autre acte criminel;

· le trafic d’armes à feu;

· la décharge d’une arme à feu avec insouciance ou dans l’intention de blesser ou de mettre la vie en danger;

· les tentatives de meurtre, les vols qualifiés ou les agressions sexuelles commis avec une arme à feu;

· les infractions commises avec une arme à feu ou toute autre arme prohibée ou à autorisation restreinte, malgré une interdiction de posséder une telle arme;

· les infractions avec recours à la violence ou à des menaces de violence envers une conjointe ou un conjoint, lorsqu’il y a déjà eu déclaration de culpabilité par le passé pour ce type d’infraction;

· le défaut de respecter les conditions de libération[5].

Or la Cour suprême du Canada a statué que l’inversion du fardeau de la preuve brimait le droit à la mise en liberté sous caution, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette disposition prévoit que quiconque est accusé d’une infraction a le droit « de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable ».

La Cour suprême estime néanmoins que l’inversion du fardeau de la preuve est constitutionnelle si elle satisfait à l’exigence de « juste cause » de l’alinéa 11e). Par exemple, dans l’affaire R. c. Morales (1992), la Cour a confirmé unanimement l’inversion du fardeau de la preuve dans les cas où la personne est inculpée d’un acte criminel alors qu’elle est en liberté sous caution à l’égard d’un autre acte criminel[6].

Article 95 et autres infractions liées aux armes à feu

Dans leur lettre du 13 janvier 2023 à l’intention de l’honorable Justin Trudeau, les 13 premières ministres et premiers ministres ont proposé de modifier ainsi le Code criminel :

Il faut inverser le fardeau de la preuve pour les demandes de libération sous caution dans les cas de possession d’une arme prohibée ou à autorisation restreinte chargée, infraction visée à l’article 95 du Code. Une personne accusée à ce titre devrait, comme c’est déjà le cas pour plusieurs autres infractions liées aux armes à feu, avoir à prouver que sa détention est injustifiée, puisqu’elle a présumément commis une infraction qui posait un risque imminent pour le public.

Selon l’article 95 du Code, constitue une infraction le fait de posséder, « dans un lieu quelconque », une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée, ou non chargée lorsque des munitions sont facilement accessibles, sans autorisation ou permis l’autorisant dans ce lieu, et sans certificat d’enregistrement de l’arme à feu.

Les représentantes et représentants des forces policières qui ont comparu devant le Comité ont tous appuyé cette proposition d’ajouter à la liste des infractions portant inversion du fardeau de la preuve l’article 95, de même que d’autres infractions qui posent un risque considérable pour la sécurité publique.

Il reviendra au ministère de la Justice du Canada de déterminer si la proposition des premières ministres et premiers ministres concernant l’article 95 satisfait à l’exigence de « juste cause ». Les témoins représentant les services policiers croient que oui, puisque la portée d’une telle modification est limitée (elle ne cible qu’un petit groupe de contrevenantes et contrevenants) et vise un objectif légitime en matière de politique publique (la sécurité publique).

Personnes récidivistes violentes

Comme mentionné dans la section sur la nécessité d’une réforme, le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario a parlé de la résolution adoptée en 2008, à la réunion de l’Association canadienne des chefs de police (ACCP), qui proposait de modifier le Code criminel pour remédier au fait qu’un petit nombre de contrevenantes et contrevenants sont responsables de la plupart des crimes avec violence au Canada.

Ces propositions de modification ont pour but avoué de « mettre un terme aux comportements incorrigibles des nombreuses personnes qui ont prouvé, sur une longue période, qu’elles continueraient de faire des victimes, quelles que soient les conditions de cautionnement ou les sentences qui leur sont imposées suivant les pratiques actuelles en matière de détermination de la peine ».

La résolution de l’ACCP proposait ce qui suit :

· Définir le concept de « récidiviste chronique » d’après un nombre minimal d’infractions commises dans une période de temps donnée;

· Présumer d’emblée que les récidivistes chroniques répondent aux deuxième et troisième conditions d’une détention préalable au procès, soit les alinéas 515(10)b) et c) du Code (la détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public et pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice);

· Imposer le fardeau de la preuve aux « récidivistes chroniques », qui devront démontrer le bien-fondé d’une libération sous caution;

· Éliminer, dans les cas impliquant des récidivistes chroniques, le principe de détermination de la peine selon lequel la ou le juge doit considérer d’autres avenues que l’incarcération, et prévoir des peines d’emprisonnement plus lourdes pour les récidivistes chroniques afin de réduire le nombre de victimes.

Le commissaire Carrique croit que ces recommandations demeurent pertinentes. Il a cependant fait remarquer que le terme « récidiviste chronique » a largement été remplacé par « récidiviste violente ou récidiviste violent », et que la proposition actuelle vise essentiellement les infractions liées aux armes à feu et à la violence conjugale.

Juges, et non juges de paix

À l’exception de quelques infractions graves, le Code criminel prévoit que l’audience de mise en liberté sous caution peut être présidée par une ou un juge de la Cour provinciale (juge) ou par une ou un juge de paix.

Contrairement aux juges, les juges de la paix ne sont pas tenus d’avoir suivi une formation juridique officielle. Par conséquent, ils ne sont pas toutes et tous des avocates et avocats.

En Ontario, la vaste majorité des audiences de mise en liberté sous caution se déroulent devant une ou un juge de paix. Plusieurs des témoins étaient d’avis qu’en l’absence d’une formation juridique reconnue, ces juges ne sont pas toujours à même de bien analyser toutes les questions en jeu lorsqu’une personne récidiviste violente accusée de crimes graves demande une libération sous caution. Jim MacSween, président de l’Association des chefs de police de l’Ontario, dit avoir toujours été « étonné » de voir que « les crimes les plus complexes et violents sont soumis à des juges de paix ».

L’une des recommandations soumises au gouvernement fédéral par le chef Demkiw et la Commission de services policiers de Toronto demandait la modification du Code criminel pour que les audiences de mise en liberté sous caution à l’égard d’infractions liées aux armes à feu (« environ 12 ou 13 infractions ») soient obligatoirement présidées par une ou un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, ou du moins, par une ou un juge de la Cour provinciale.

Le chef Demkiw a expliqué que, même si la loi autorisait actuellement que ces audiences soient présidées par une ou un juge, ce n’est pas une pratique habituelle en Ontario. Selon lui, le fait d’inscrire cette obligation dans le Code criminel « démontrerait clairement que le Parlement reconnaît la gravité de ces infractions et leurs répercussions dans la collectivité ».

Le chef et la Commission estiment que leur recommandation n’aurait des implications que pour un petit nombre de cas, et que les tribunaux pourraient facilement absorber la charge de travail supplémentaire.

Le Comité a été informé de deux projets pilotes en lien avec cette recommandation. L’un d’eux, décrit par la Criminal Lawyers’ Association, consistait à faire instruire à Ottawa toutes les affaires de mise en liberté sous caution par une ou un juge de la Cour provinciale. Aujourd’hui, les juges de paix ont repris le mandat, mais peuvent renvoyer les cas à des juges, lorsque c’est possible. L’autre projet pilote, similaire au premier, a été déployé dans les Tribunaux de College Park de Toronto.

Soit dit en passant, les deux projets ont donné lieu à des audiences de mise en liberté sous caution plus efficaces et permis aux deux parties (la Couronne et la défense) de mieux comprendre les questions en jeu.

Des groupes comme la Criminal Lawyers’ Association et l’Association canadienne des libertés civiles, ainsi que d’autres membres d’associations d’avocates et avocats criminalistes, se sont dit en faveur de la proposition d’assigner des juges aux audiences de mise en liberté sous caution. Selon elles et eux, les juges ont la formation et l’expérience nécessaires pour analyser le type d’arguments qui y sont présentés, ce qui n’est pas le cas pour bien des juges de paix.

Le Comité a aussi appris que d’autres provinces et territoires assignaient régulièrement des juges aux tribunaux de cautionnement. Bien que cette approche comporte des avantages (exposés ci-dessus), elle a aussi des désavantages, dont le coût : le salaire des juges est considérablement plus élevé que celui des juges de paix.

D’ailleurs, un témoin a dit avoir été incapable d’obtenir du ministère du Procureur général une évaluation des deux projets pilotes et a suggéré au Comité de faire un suivi.

Nous savons qu’un rapport à ce sujet a été rédigé en 2020. S’il a été rendu public, nous demandons au Ministère d’en acheminer une copie au Comité dès que possible.

En conclusion, mentionnons certaines discussions du Comité concernant le programme de mises en liberté sous caution dans le cadre de la lutte contre les bandes criminalisées et les armes à feu du ministère du Procureur général, déployé en 2018. Ce programme consiste à assigner une « équipe d’intervention judiciaire » aux palais de justice provinciaux de Toronto. Chaque équipe est dirigée par une procureure ou un procureur de la Couronne qui veille à ce que les criminelles et criminels violents et armés se voient (en règle générale) « refuser leur libération sous caution et demeurent derrière les barreaux ». En outre, une équipe d’agentes de conformité et d’agents de conformité veillent à ce que les personnes libérées sous caution respectent leurs conditions de libération.

Des témoins en comparution devant le Comité – dont les chefs Demkiw et MacSween, respectivement du Service de police de Toronto et de l’Association des chefs de police de l’Ontario – ont dit appuyer l’élargissement de ce programme du Ministère afin qu’il inclue les récidivistes violents. Selon eux, « nous faisons un excellent travail de lutte contre les bandes criminalisées et les armes à feu [...] tout ce que peut faire le gouvernement pour optimiser la surveillance des personnes en libération sous caution serait fort bienvenu ».

Mentionnant son expérience directe avec les programmes visant les armes à feu et les bandes criminalisées, Jon Reid, de la Toronto Police Association, a expliqué les avantages d’avoir un personnel spécialisé qui a une « connaissance approfondie » des infractions liées aux armes à feu auprès des juges et juges de paix lors des audiences de mise en liberté sous caution. Il a aussi indiqué que l’« intégration » des procureures et procureurs de la Couronne et des agentes et agents de police à Toronto avait permis d’améliorer l’échange d’information, notamment de photos des types d’armes utilisés dans ces affaires. « Lorsque vous présentez [ces photos] au tribunal, a-t-il dit, ça capte l’attention des gens et ils commencent à les remarquer davantage. »

Mise en liberté avec dépôt d’argent

En vertu du Code criminel, l’une des ordonnances que peuvent rendre les juges de paix ou les juges de la Cour provinciale lors d’une audience de mise en liberté sous caution est un « engagement ». Il s’agit d’une promesse par la personne accusée de se présenter au tribunal comme demandé et de respecter les conditions qui lui sont imposées.

Un engagement comporte aussi un volet financier. Si la personne accusée ne se présente pas en cour ou enfreint ses conditions de libération, celle-ci, ou la personne qui s’est portée caution, devra verser au tribunal un certain montant d’argent.

On compte quatre types d’ordonnances d’engagement :

· La personne accusée est libérée « sur la foi de son engagement personnel », après avoir promis de payer un certain montant au tribunal si elle enfreint ses conditions de libération.

· La personne accusée est libérée moyennant surveillance par une caution, c’est-à-dire une personne qui accepte de la surveiller et de payer un certain montant au tribunal si elle enfreint ses conditions de libération.

· La personne accusée est libérée sans caution, mais doit faire un dépôt (« mise en liberté avec dépôt d’argent »).

· La personne accusée est libérée moyennant surveillance par une caution et dépôt d’argent.

Si la personne accusée est libérée sur la foi de son engagement personnel, elle est personnellement responsable du montant précisé dans l’ordonnance de libération. Si une ou plusieurs cautions sont chargées de sa surveillance, ce sont elles qui sont responsables du montant promis au tribunal en garantie.

La Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt R. c. Antic, en 2017, qu’un engagement assorti d’une promesse pécuniaire est « l’équivalent fonctionnel du cautionnement en espèces et a le même effet coercitif ». Ainsi, la mise en liberté avec dépôt d’argent ne devrait être choisie que s’il est impossible d’opter pour l’engagement moyennant surveillance par une caution[7].

Des agentes et agents de police expérimentés dans les questions de libération sous caution se sont dits en désaccord avec l’avis de la Cour suprême voulant que l’engagement assorti d’une promesse pécuniaire ait le même effet coercitif que le cautionnement en espèces. Le président de la Police Association of Ontario (PAO), par exemple, c’est exprimé en ces termes : « C’est faux [...] en réalité, la Couronne et le tribunal ne saisissent jamais les biens de la caution, et les personnes accusées le savent très bien. C’est pourquoi un simple engagement financier de la personne accusée ou de sa caution n’a aucun effet coercitif – c’est comme si la personne était libérée sur la “simple promesse de comparaître” ».

La PAO est d’avis que « si la Couronne et les tribunaux continuent de refuser de faire des saisies », il faudrait modifier le Code criminel « pour laisser plus de place au dépôt d’argent ». Elle croit qu’une telle modification inciterait davantage les personnes libérées sous caution à respecter leurs conditions, et qu’elle est justifiée pour les contrevenantes et contrevenants chroniques arrêtés en possession d’une arme.

Women in Canadian Criminal Defence, un organisme national de défense des intérêts des femmes, s’inscrivait en faux contre l’argument de la PAO :

Soyons clairs : le système canadien de mise en liberté sous caution s’appuie sur le principe qu’en demandant un dépôt en argent, on créerait un système de classes [...] nous devons reconnaître que toute réforme du système de mise en liberté sous caution aura des répercussions disproportionnées sur les groupes désavantagés.

Administration de la justice

En vertu de la constitution canadienne, les législatures provinciales et territoriales sont responsables de l’« administration de la justice » sur leur territoire respectif[8].

En Ontario, c’est le ministère du Procureur général qui voit à l’administration de la justice, définie comme l’établissement, le maintien et l’exploitation des tribunaux, des bureaux des procureures et procureurs de la Couronne et des prisons[9].

Il s’ensuit que si le gouvernement fédéral édicte les lois et procédures en matière criminelle, y compris en matière de libérations sous caution, il revient aux provinces et territoires de mettre en place l’infrastructure nécessaire pour les appliquer sur le terrain[10].

L’analyse et les recommandations exposées dans cette section s’adressent au gouvernement provincial.

Surveillance des libérations sous caution

Au fil des comparutions devant le Comité, il est devenu clair qu’il n’y a pas une entité unique chargée de s’assurer que les personnes en liberté sous caution respectent leurs conditions de cautionnement : la police joue un rôle, tout comme les cautions et les programmes de surveillance communautaire, comme le programme de lits pour personnes en liberté sous caution de la John Howard Society. Dans cette section, nous revenons sur les témoignages entendus concernant le fonctionnement des différents volets du système actuel de surveillance des personnes libérées sous caution, et nous faisons état d’une proposition en vue de concevoir un nouveau modèle de surveillance.

Forces policières

Le Comité a appris que la police surveillait bel et bien les personnes libérées sous caution. Un bon exemple est l’unité intervenant auprès des contrevenantes et contrevenants à risque élevé de la police régionale de York, qui surveille celles et ceux qui posent le plus grand risque pour la société. Ce service de police a aussi une unité spécialisée en violence conjugale qui assure la surveillance des personnes en libération sous caution.

Nous avons aussi appris que la police avait l’autorité et le devoir d’appréhender les personnes qui enfreignent leurs conditions de libération, et qu’elle pouvait demander au tribunal un mandat d’arrestation à cette fin.

Par contre, en raison des ressources limitées, les services de police ne peuvent assurer cette surveillance comme ils le voudraient. Des représentantes et représentants de la police ont expliqué que certaines unités ontariennes consacrées à cette surveillance ont été dissoutes, et leurs membres réaffectés aux interventions d’urgence en première ligne. Là où il n’y a pas d’unité spécialisée, la police n’a tout simplement pas le temps d’assurer une surveillance constante. Et les personnes en libération sous caution « le savent, et savent que les chances sont minces que quelqu’un fasse un suivi auprès d’elles ».

La question de la priorité a été abordée par Jon Reid, président de la Toronto Police Association, qui a dit que « trop souvent, nous traitons les infractions liées à l’administration de la justice comme étant moins graves ». Il a proposé de modifier la Loi sur les services policiers de l’Ontario en ajoutant la surveillance des personnes libérées sous caution à la liste des « services policiers de base » que doivent offrir les commissions des services policiers dans leurs collectivités à titre de « services policiers convenables et efficaces »[11].

Selon M. Reid, en intégrant cette norme dans la loi, on obligerait les services de police à surveiller les personnes libérées sous caution, quelles que soient les « pressions budgétaires » :

Il va sans dire que le respect des conditions de libération sous caution, et les critères en place pour mesurer cette conformité, doivent faire partie intégrante de services policiers convenables et efficaces. Il faut exiger des mesures proactives distinctes des fonctions réactives [...] que les agentes et agents sont tenus d’accomplir.

Pour définir « convenables et efficaces », le respect des conditions de libération sous caution contribue certainement à la prévention du crime. À l’application des lois. Au maintien de l’ordre public. Et, plus important encore, à aider les victimes d’actes criminels et à envoyer le message qu’elles sont prises au sérieux et traitées en conséquence.

Le président de l’Association des chefs de police de l’Ontario faisait partie de celles et ceux dans le milieu policier qui ont demandé un financement supplémentaire pour des technologies et des ressources humaines pouvant servir à la surveillance, au suivi et aux vérifications de conformité des personnes en liberté sous caution.

Cautions

En Ontario, dans de nombreux cas de libération sous caution, la personne accusée est libérée sur un engagement moyennant surveillance par une ou plusieurs cautions. Une caution est une personne, souvent une ou un membre de la famille, ou une amie ou un ami, qui s’engage à :

· s’assurer que la personne accusée se présente en cour lorsqu’elle y est convoquée;

· s’assurer qu’elle respecte toutes ses conditions de cautionnement;

· appeler la police si elle enfreint ses conditions.

À titre de garantie, la caution doit aussi s’engager à payer un montant d’argent au tribunal si la personne accusée enfreint ses conditions de libération.

Bien que le Code criminel prévoie un processus (« confiscation ») par lequel il peut être ordonné à une caution de verser la somme promise à la cour, des agentes et agents de police expérimentés ont confié au Comité que ça ne se faisait pas. Le chef de l’Association de la Police provinciale de l’Ontario a soumis l’observation suivante :

Elles ne sont jamais tenues responsables. En 27 ans de carrière comme agent de police dans le Nord de l’Ontario, je n’ai jamais vu une caution être tenue responsable pour le montant mis en gage.

Comme il a déjà été dit, l’Association des policiers de l’Ontario recommande, si la Couronne et les tribunaux ne sont pas disposés à faire des saisies, de modifier le Code criminel de façon à privilégier les dépôts plutôt qu’un simple engagement.

Dispositifs de surveillance par GPS

En Ontario, des dispositifs de surveillance par système de positionnement global (GPS) sont utilisés pour surveiller les personnes libérées sous caution. On a fait savoir au Comité que le ministère du Solliciteur général avait embauché un tiers (Recovery Science) pour assurer le suivi de ces dispositifs.

Comme l’indiquait le commissaire Carrique dans ses remarques préliminaires, un des suspects arrêtés pour le meurtre de l’agent Pierzchala avait retiré son bracelet électronique (GPS) qu’on lui avait ordonné de porter pendant qu’il était sous la surveillance d’une caution. Selon le commissaire, le fait de retirer ce dispositif constitue un manquement aux conditions, et il revient alors au service de police local de repérer et d’arrêter la personne fautive.

À la lumière des faits ressortis dans l’affaire Pierzchala (et d’autres), certains ont exprimé des doutes quant à l’efficacité du système par GPS, du moins pour les récidivistes. L’Association des chefs de police de l’Ontario (ACPO) souhaitait notamment une analyse de l’efficacité des programmes de surveillance par GPS. Selon elle, la place faite à cette technologie comme solution de rechange à la détention n’est pas nécessairement appropriée pour les récidivistes accusés de crimes graves avec violence et d’infractions liées aux armes à feu. Elle souhaite que l’on revoie les façons de traiter le non-respect des conditions et les problèmes liés à l’équipement et la surveillance, dont l’altération des dispositifs, le non-respect des zones d’inclusion et d’exclusion, et la défaillance de l’équipement.

Selon l’Ontario Association of Police Services Boards, la surveillance par GPS dans la province est assurée par « différentes entreprises »; celle-ci aimerait voir « une rigueur accrue » de sorte que si une personne retire son dispositif, une alarme se déclenche pour aviser directement l’entité responsable de l’application de la loi.

Nouvelle unité de services correctionnels communautaires pour assurer la conformité

Scott McIntyre, un agent de probation et de libération conditionnelle du ministère du Solliciteur général ayant plus de 30 ans d’expérience, a présenté au Comité une proposition consistant à créer une nouvelle unité responsable de tous les volets de la surveillance communautaire dans le système de justice pénale, ce qui comprend les libérations sous caution, les libérations conditionnelles et les probations.

Comme il l’a expliqué, les libérations sous caution ont des points en commun avec les libérations conditionnelles et les probations, quand on parle de surveillance. Outre la nécessité d’une surveillance communautaire, il « manque dans tous les cas » un système pour :

· assurer le respect des conditions de libération, comme la détention à domicile et les couvre-feux;

· repérer les personnes qui ont violé leurs conditions de libération sous caution, de probation, d’emprisonnement avec sursis ou de libération conditionnelle, et qui font l’objet d’un mandat d’arrestation.

M. McIntyre propose de créer une unité de services correctionnels communautaires pour assurer la conformité, formée d’une autre classe d’agentes et agents de la paix, sous l’autorité du ministère du Solliciteur général (actuellement, le ministère du Solliciteur général et le ministère du Procureur général se partagent la fonction de surveillance). Les agentes et agents occupant ce nouveau poste auraient pour mandat :

· de procéder à des vérifications de la conformité des personnes visées par une ordonnance de surveillance communautaire dans le cadre de leur libération sous caution, probation, peine d’emprisonnement avec sursis ou libération conditionnelle assortie de conditions comme la détention à domicile, un couvre-feu, des restrictions géographiques, des conditions d’emploi ou une interdiction de fréquenter certains lieux ou certaines personnes;

· de repérer les personnes ayant violé leurs conditions et d’exécuter le mandat d’arrestation contre elles;

· d’amener ces personnes devant le tribunal ayant compétence (ce qui réglerait le problème des agentes et agents qui interpellent une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrestation délivré par un tribunal situé à des centaines de kilomètres, et qui ne peuvent l’y emmener en raison du manque de temps et de ressources, ce qui les force à la libérer);

· d’assister à l’audience de mise en liberté sous caution ou de justification (pour les personnes ayant des antécédents de surveillance par les Services de probation et de libération conditionnelle, les agentes et agents pourraient consulter leur dossier pour informer le tribunal du risque qu’elles posent, et notamment de leurs antécédents en matière de respect des conditions, et lui soumettre des recommandations sur la pertinence d’une libération).

De plus, M. McIntyre note que les organismes bénéficiant de paiements de transfert pour la surveillance des libérations sous caution – comme la John Howard Society, la Société Elizabeth Fry et l’Armée du Salut – ne peuvent pas faire de surveillance « sur le terrain » et ne s’emploient pas à localiser les personnes qui ont enfreint leurs conditions. Or, en 2017, les agentes et agents de probation et de libération conditionnelle ont délivré plus de 4 500 mandats d’arrestation pour des contrevenantes et contrevenants en violation de leurs conditions dont on avait perdu la trace.

M. McIntyre a terminé en disant que sa proposition « contribuerait grandement à rétablir la confiance du public et éliminerait la menace à la sécurité publique qui perdure en l’absence d’une telle unité de la conformité ou d’un système d’application des lois ».

Surveillance centralisée et normes provinciales

Les membres du Comité ont demandé à plusieurs témoins ce qu’ils pensaient de la mise en place d’une entité provinciale et centralisée pour encadrer la surveillance des libérations sous caution et le respect des conditions.

Le chef Demkiw a dit soutenir « totalement » cette idée, notant que le Service de police de Toronto avait déjà pris des mesures en ce sens en créant un « tableau de bord du respect des conditions de libération sous caution », qui aide les agentes et agents à surveiller les contrevenantes et contrevenants violents soumis à des conditions de mise en liberté. Ce tableau de bord rend possible le partage de données avec le service de police de la région de Durham, mais le chef Demkiw a noté l’intérêt de la Police provinciale et du gouvernement à étendre cette initiative « pour que l’on puisse disposer de données uniformes à l’échelle de la province aux fins de la gestion des contrevenantes et contrevenants en libération sous caution ».

Questionnée sur un éventuel encadrement centralisé, l’Ontario Association of Police Services Boards a répondu qu’il serait bénéfique d’établir à tout le moins des normes provinciales de surveillance des libérations sous caution.

Ministère du Procureur général

Comme il a été noté, le gouvernement fédéral est responsable de la législation qui régit les libérations sous caution, mais c’est le ministère du Procureur général de l’Ontario qui doit soutenir le système judiciaire et établir les politiques et directives encadrant les poursuites au criminel. Nous avons reçu plusieurs mémoires qui traitent de questions relevant du Ministère.

Ressources judiciaires

Les audiences du Comité ont permis de cerner un problème systémique majeur : la surcharge des tribunaux de cautionnement. En Ontario, 50 % des personnes accusées d’une infraction sont détenues en attendant leur audience de mise en liberté sous caution, ce qui signifie qu’un grand nombre de dossiers passent par le système judiciaire. Or si certaines personnes recouvrent leur liberté dans les 24 heures ou après une seule comparution (conformément au Code criminel), ce n’est pas le cas pour tout le monde.

Une partie des témoins ont recommandé que le gouvernement consacre davantage de ressources au système judiciaire. Le sous-financement chronique serait, selon elles et eux, l’une des principales causes de l’inefficacité du système de libération sous caution. Par exemple, le service de police régional de Peel souhaite que le Ministère fournisse davantage de ressources :

· aux procureures et procureurs de la Couronne pour qu’elles et ils puissent tenir les audiences de mise en liberté sous caution rapidement « lorsque la sécurité publique l’exige »;

· pour la formation des juges de paix afin qu’elles et ils aient une « compréhension approfondie des dispositions relatives aux libérations sous caution, y compris les enjeux de sécurité publique ».

Aide juridique

Pour les avocates et avocats de la défense, les retards sont en grande partie attribuables au nombre de personnes qui comparaissent sans se faire représenter par une avocate ou un avocat, ou encore sans l’assistance d’une avocate de service ou d’un avocat de service pour s’orienter dans le système de mise en liberté sous caution. En pareil cas, lorsque la cause n’est pas entendue, la personne retourne en détention, un exercice qui exige beaucoup de temps et qui peut se répéter.

Plusieurs mémoires faisaient valoir que la meilleure façon de réduire les retards systémiques est d’investir dans l’aide juridique. Une avocate-conseil à l’interne de l’Association canadienne des libertés civiles a émis l’avis suivant :

Il est futile de croire que l’on peut investir dans la Couronne, les services policiers et les tribunaux sans fournir les ressources nécessaires en matière d’aide juridique. Les gains d’efficacité sont impossibles si l’aide juridique accuse un manque de personnel et de ressources.

Politiques en matière de poursuite

Le Manuel de poursuite de la Couronne du Ministère fournit des directives obligatoires, des conseils et des instructions pour guider les procureures et procureurs dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de poursuite.

Voici ce qu’il dit actuellement :

Dans tous les cas impliquant des armes à feu, la poursuivante doit demander une ordonnance de détention, sans circonstances exceptionnelles, pour assurer la sécurité du public.

Malgré cette politique actuelle, certains témoins estiment qu’un examen est nécessaire pour évaluer la façon dont les procureures et procureurs abordent les audiences de libération sous caution.

Appelée à commenter les statistiques présentées par le chef Demkiw sur le nombre d’infractions répétées relatives aux armes à feu commises par des personnes en liberté sous caution, la porte-parole de la Criminal Lawyers’ Association s’est dite « très surprise de ces statistiques [...] ça ne correspond pas à ce que j’ai personnellement vu dans ma pratique ». Elle a ajouté qu’« une révision du Manuel de poursuite de la Couronne ou une formation pour les juges de paix qui décident des libérations sous caution » pourraient être nécessaires.

C’était d’ailleurs l’argument central du mémoire du service de police régional de Peel, qui renferme les recommandations suivantes à l’intention du ministère du Procureur général :

· Travailler étroitement avec le ministère de la Justice du Canada pour assurer une bonne coordination des politiques, directives et lignes directrices sur les libérations sous caution en cas de changements législatifs.

· Voir à ce que les politiques de la Couronne insistent sur l’importance d’une évaluation rigoureuse des implications en matière de sécurité publique au moment d’appuyer une libération sous caution ou de s’y opposer; la procureure ou le procureur doit demander la détention si elle ou il croit qu’une libération poserait un risque pour la sécurité de la victime ou du public qu’aucune condition ne pourrait suffisamment atténuer.

· Former un groupe de procureures et procureurs de la Couronne spécialisés dans les infractions violentes liées aux armes à feu ou autres types d’armes.

Peuples autochtones et libérations sous caution

Nous avons reçu des mémoires de trois organismes autochtones : la Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation, le Service de police Nishnawbe-Aski et le Congrès des peuples autochtones. Ceux-ci avaient des points de vue différents, comme on peut le lire ci-dessous.

Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation

La Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation (NALSC) a été fondée en 1990 « pour corriger les lacunes dans l’administration de la justice au sein de la Nishnawbe-Aski Nation (NAN), et pour améliorer l’accès à la justice pour ses membres ».

Selon la NALSC, les Autochtones sont largement surreprésentés dans les prisons canadiennes, et leur nombre continue d’augmenter malgré l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Gladue, qui date de plus de 20 ans[12]. Conformément à cette décision, les tribunaux doivent tenir compte, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquantes et délinquants autochtones, de toutes les sanctions autres que l’emprisonnement qui sont raisonnables dans les circonstances. Dans des décisions judiciaires subséquentes, les tribunaux ont établi que les principes de l’arrêt Gladue ne se limitaient pas à la détermination de la peine, mais s’appliquaient aussi à toutes les situations où la liberté d’une personne autochtone est compromise, y compris les audiences de mise en liberté sous caution.

Pour la NALSC, cette audience est probablement le moment le plus critique dans une instance criminelle. Si la personne accusée n’est pas libérée, les chances qu’elle plaide coupable augmentent considérablement. En effet, personne ne veut attendre son procès en prison s’il est possible d’être libéré pour temps déjà passé en détention. La Cour suprême a noté que les Autochtones sont plus susceptibles que les autres de se voir refuser une libération sous caution, ce qui contribue à leur surincarcération.

De l’avis de la NALSC, un « resserrement » du système de libération sous caution par l’ajout des infractions visées à l’article 95 à la liste des infractions portant inversion du fardeau de la preuve ne ferait qu’aggraver la situation. L’inversion du fardeau de la preuve doit demeurer l’exception à la présomption d’innocence.

Service de police Nishnawbe-Aski

Roland Morrison, chef du Service de police Nishnawbe-Aski – le plus important service de police autochtone au Canada, a-t-il précisé –, a sous sa gouverne 34 des 49 communautés de la Nishnawbe-Aski Nation dans le Nord de l’Ontario, dont 23 exclusivement accessibles par avion.

Il a décrit certaines des particularités du système de mise en liberté sous caution sur son territoire. Dans les collectivités accessibles par avion, les audiences de mise en liberté sous caution se déroulent par appel audio ou vidéoconférence, si la technologie et les conditions météorologiques le permettent. De plus, les juges de paix ne sont pas toujours disponibles. Pour la plupart des infractions, la personne accusée est libérée, ce qui peut compliquer la protection des victimes. Par exemple, une personne accusée d’agression sexuelle peut être libérée dans une petite communauté de 350 personnes, et habiter à proximité de sa victime. Il peut aussi être difficile, dans ce type de communauté, de trouver une personne prête à se porter caution, et il arrive que la personne en détention ne puisse être libérée en raison des conditions météorologiques.

Le chef Morrison a expliqué qu’il avait observé ces dernières années un afflux de contrevenantes et contrevenants venus du sud de l’Ontario ayant été libérés « sous caution ». Ces personnes apportent drogues et armes dans des endroits comme Thunder Bay et Timmins, puis « s’accointent » avec les Autochtones qu’elles rencontrent dans les collectivités nordiques.

À la question de savoir s’il croit que la réforme du système de mise en liberté sous caution sauverait des vies, le chef Morrison a répondu « absolument », vu le « nombre de personnes en liberté sous caution, et la hausse du nombre d’incidents liés aux armes à feu ». Et la priorité de la réforme devrait-elle être de sauver des vies? Selon lui, « oui, ce doit l’être ». Il a également dit appuyer l’ajout des infractions liées aux armes à feu et à la violence conjugale à la liste des infractions portant inversion du fardeau de la preuve pour les libérations sous caution.

 

 

Par ailleurs, le chef Morrison a demandé davantage de ressources pour corriger les lacunes actuelles du système. Il croit toutefois qu’à long terme, il faudra reconnaître l’échec du « système européen » pour les peuples autochtones. Les ministères, a-t-il ajouté, doivent « réinstaurer leur système, celui [que les peuples autochtones] ont suivi pendant des millénaires ».

Congrès des peuples autochtones

Kimberly Beaudin, vice-chef national du Congrès des peuples autochtones (CPA), a offert une tout autre vision d’une éventuelle réforme du système de mise en liberté sous caution. Le CPA représente les indiennes et indiens non inscrits et les Autochtones qui vivent hors réserve partout au pays. Le vice-chef a décrit ces communautés comme de « grandes oubliées », vu leur « exclusion des enjeux légaux, constitutionnels et judiciaires ».

Selon lui, ces communautés font « l’objet d’interventions policières excessives, d’un manque de protection, de violence et de discrimination à chaque étape du processus judiciaire ». C’est pourquoi toute proposition visant à resserrer les conditions de cautionnement irait à l’encontre de leurs intérêts et raterait la cible.

Il a ajouté que ces doléances s’appuyaient sur les statistiques du ministère de la Justice du Canada, qui montrent que la vaste majorité des personnes (plus de 80 %) qui obtiennent une libération sous caution respectent leurs conditions, et que lorsqu’elles les enfreignent, il s’agit presque toujours (98 %) de conditions de nature administrative (par exemple, défaut de respecter un couvre-feu ou de se présenter à ses séances de counseling). Moins d’une personne sur 300 commet ce qui pourrait être considéré comme un vrai crime durant sa libération sous caution.

Par ailleurs, le vice-chef Beaudin a fait une mise en garde contre l’adoption d’importants changements de fond dans la foulée d’incidents hautement médiatisés. La meilleure approche, selon lui, c’est de s’attaquer aux causes profondes de la criminalité, comme la pauvreté et le manque de services, qui font en sorte que les communautés à risque élevé ne reçoivent pas l’aide dont elles ont besoin.

Cela dit, le vice-chef a fait état de plusieurs problèmes dans l’actuel système de mise en liberté sous caution. Parmi eux, « des conditions excessives ou punitives » – comme ordonner l’abstinence à une personne ayant un problème d’alcool et empêcher une personne de retourner chez elle, la forçant ainsi à aller dans un refuge d’urgence – qui n’améliorent en rien la sécurité publique. De plus, l’attente pour comparaître demeure très longue, ce qui pousse des personnes innocentes à plaider coupable pour éviter de rester en prison plus longtemps si elles sont reconnues coupables à leur procès.

En conclusion, le vice-chef Beaudin a indiqué que les communautés autochtones, y compris les leaders et les aînées et aînés, devaient « avoir voix au chapitre dans le processus de libération sous caution ».

 

 

Recommandations du Comité

Recommandations à l’intention du gouvernement du Canada

Le Comité permanent de la justice recommande au gouvernement de l’Ontario d’exhorter le gouvernement du Canada à prendre les mesures suivantes :

1. Inverser immédiatement le fardeau de la preuve pour les libérations sous caution dans les cas de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions, infraction visée à l’article 95 du Code criminel.

2. Appliquer immédiatement l’inversion du fardeau de la preuve pour la libération sous caution aux contrevenantes et contrevenants qui posent un risque considérable pour la sécurité publique, notamment :

· les personnes récidivistes violentes;

· les délinquantes violentes et délinquants violents inculpés d’infractions graves;

· les personnes accusées d’infractions liées aux armes à feu, particulièrement de possession d’une arme à feu.

3. Apporter immédiatement les modifications suivantes au Code criminel, officiellement approuvées par l’Association canadienne des chefs de police en 2008 :

· Définir le concept de « récidiviste chronique » d’après un nombre minimal d’infractions commises dans une période de temps donnée;

· Présumer d’emblée que les récidivistes chroniques répondent aux deuxième et troisième conditions d’une détention préalable au procès, soit les alinéas 515(10)b) et c) du Code (la détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public et pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice);

· Imposer le fardeau de la preuve aux « récidivistes chroniques », qui devront démontrer le bien-fondé d’une libération sous caution;

· Éliminer, dans les cas impliquant des récidivistes chroniques, le principe de détermination de la peine selon lequel la ou le juge doit considérer d’autres avenues que l’incarcération, et prévoir des peines d’emprisonnement plus lourdes pour les récidivistes chroniques afin de réduire le nombre de victimes.

4. Inclure immédiatement dans la catégorie des meurtres au premier degré (article 231 du Code criminel) les morts causées par une décharge d’arme à feu dans un lieu collectif.

5. Habiliter immédiatement les juges prononçant une sentence à élargir l’inadmissibilité à la libération conditionnelle aux deux tiers de la peine carcérale lorsque la cour statue que la contrevenante ou le contrevenant a déchargé une arme à feu dans un lieu collectif dans la foulée de son infraction.

6. Ordonner que les audiences de mise en liberté sous caution pour les infractions graves soient entendues par des juges de la Cour provinciale.

7. Introduire des modifications législatives prévoyant clairement que le « principe de l’échelle » pour les libérations sous caution ne s’applique pas si le fardeau de la preuve est inversé.

Recommandations à l’intention du gouvernement de l’Ontario

Le Comité permanent de la justice recommande au gouvernement de l’Ontario de prendre les mesures suivantes :

8. Envisager de renforcer les libérations sous caution dans les cas où une ou plusieurs personnes se portent caution.

9. Envisager de modifier les grandes politiques, instructions et lignes directrices du ministère du Procureur général concernant les libérations sous caution, notamment en vue de poursuivre ou d’élargir les projets pilotes d’Ottawa et de Toronto qui consistaient à faire présider les audiences de mise en liberté sous caution par des juges de la Cour provinciale.

10. Envisager d’allouer davantage de ressources aux procureures et procureurs de la Couronne afin que les audiences de mise en liberté sous caution aient lieu rapidement lorsque la sécurité publique l’exige.

11. Envisager d’accroître les ressources pour former les juges de paix et voir à ce qu’elles et ils comprennent bien les dispositions relatives aux libérations sous caution, notamment les enjeux de sécurité publique.

12. Envisager de mettre sur pied un groupe de procureures et procureurs de la Couronne spécialisés dans les infractions violentes relatives aux armes et armes à feu, à l’image de l’équipe spécialisée dans les libérations sous caution pour les infractions relatives aux armes à feu et aux bandes criminalisées.

 

 

Annexe A : Motion du Comité

Adoptée le 18 janvier 2023

Je propose qu’en vertu de l’alinéa 113 a) du Règlement, le Comité procède à une étude des implications, pour l’administration de la justice et la sécurité publique dans la province, d’une réforme du système canadien de mise en liberté sous caution en ce qui a trait aux personnes accusées d’infractions violentes ou associées aux armes ou armes à feu;

Que le Comité tienne des audiences publiques aux dates suivantes :

· Le lundi 30 janvier 2023, de 9 h à 12 h et de 13 h à 18 h;

· Le mardi 31 janvier 2023, de 9 h à 12 h et de 13 h à 18 h;

Que la greffière du Comité soit autorisée à publier immédiatement des avis concernant ces audiences sur la Chaîne parlementaire de l’Ontario et le site Web de l’Assemblée législative;

Que la date limite pour demander de comparaître aux audiences soit fixée au lundi 23 janvier 2023, à 12 h;

Que les témoins experts suivants soient invités à témoigner devant le Comité, et disposent chacun de 20 minutes pour leur déclaration préliminaire, lesquelles seront suivies d’une période de questions de 40 minutes, ainsi divisée : deux rondes de 7,5 minutes pour le gouvernement, deux rondes de 7,5 minutes pour l’opposition officielle et deux rondes de 5 minutes pour les députées indépendantes ou députés indépendants du Comité :

· Thomas Carrique, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario

· Mark Baxter, président de l’Association des policiers de l’Ontario

· John Cerasuolo, président de l’Association de la Police provinciale de l’Ontario

· Jim MacSween, chef du Service de police régional de York

· Myron Demkiw, chef du Service de police de Toronto

· Jon Reid, président de la Toronto Police Association;

Que la période de 9 h à 12 h, le lundi 30 janvier 2023, soit réservée aux témoins experts invités, et que le témoignage de ceux qui ne peuvent se présenter à cette date soit prévu dans les autres plages horaires des audiences publiques

Que les autres témoins soient invités à se présenter par groupes de trois, durant le reste des audiences, à raison d’une heure par groupe où 7 minutes seront accordées pour la déclaration préliminaire, lesquelles seront suivies d’une période de questions collective de 39 minutes, ainsi divisée : deux rondes de 7,5 minutes pour le gouvernement, deux rondes de 7,5 minutes pour l’opposition officielle et deux rondes de 4,5 minutes pour les députées indépendantes ou députés indépendants du Comité;

Que les témoins aient l’option de comparaître en personne ou à distance, pourvu qu’une seule personne par organisme puisse témoigner en personne, les autres intervenantes et intervenants de l’organisme devant participer à distance;

Que la greffière du Comité fournisse la liste des personnes intéressées à témoigner à chaque membre du sous-comité des travaux du comité et à leurs représentantes désignées ou représentants désignés le plus tôt possible après la date limite pour demander à comparaître;

Que s’il n’est pas possible d’accepter toutes les demandes de comparution, les membres du sous-comité, ou leur représentante désignée ou représentant désigné, puissent fournir à la greffière du Comité une liste d’intervenantes et intervenants prioritaires choisis dans la liste des personnes intéressées au plus tard le mardi 24 janvier 2023, à 14 h;

Que la date limite pour déposer les mémoires soit fixée au mardi 31 janvier 2023, à 19 h;

Que Recherche législative fournisse aux membres du Comité un rapport provisoire le mardi 7 février 2023;

Que le Comité se réunisse pour rédiger le rapport à Queen’s Park aux dates suivantes, au besoin :

· Le jeudi 9 février 2023, de 9 h à 12 h;

· Le lundi 13 février 2023, de 10 h à 12 h et de 15 h à 18 h;

· Le mardi 14 février 2023, de 10 h à 12 h et de 15 h à 18 h;

· Le jeudi 16 février 2023, de 10 h à 12 h et de 15 h à 18 h;

· Le vendredi 17 février 2023, de 9 h à 12 h.

Modification adoptée le 23 janvier 2023

Je propose que les audiences publiques du Comité prévues les lundi 30 janvier et mardi 31 janvier 2023 soient reportées aux mardi 31 janvier et mercredi 1er février 2023, respectivement;

Que la période de 9 h à 12 h, le mardi 31 janvier 2023, soit réservée aux témoins experts invités, et que le témoignage de ceux qui ne peuvent se présenter à cette date soit prévu dans les autres plages horaires des audiences publiques.

 

 

Annexe B : Lettre au premier ministre du Canada

letter 1

 

letter 2

Annexe C : Liste des témoins

Organisme ou particulier

Mémoire ou date de comparution

Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry

Mémoire

Association canadienne des libertés civiles

1er février 2023

Association canadienne pour la santé mentale

Mémoire

Canadian Prison Law Association

1er février 2023

Congrès des peuples autochtones

1er février 2023

Criminal Lawyers’ Association

31 janvier 2023

Fédération des Associations du Barreau de l’Ontario

Mémoire

Institute of Criminology and Criminal Justice (Université Carleton)

Mémoire

Jennifer Foster

Mémoire

Société John Howard de l’Ontario

1er février 2023

Justin Piché

31 janvier 2023

Aide juridique Ontario

Mémoire

Lindsay Jennings

1er février 2023

Lydia Dobson

1er février 2023

Neighbourhood Legal Services

Mémoire

Nicole Myers

1er février 2023

Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation

Mémoire

Service de police Nishnawbe-Aski

31 janvier 2023

Association des chefs de police de l’Ontario

31 janvier 2023

Ontario Association of Police Services Boards

1er février 2023

Association du Barreau de l’Ontario

1er février 2023

Police provinciale de l’Ontario

31 janvier 2023

Association de la Police provinciale de l’Ontario

31 janvier 2023

Service de police régional de Peel

Mémoire

Association des policiers de l’Ontario

31 janvier 2023

Armée du Salut – Ontario

Mémoire

Scott McIntyre

1er février 2023

Society of United Professionals

31 janvier 2023

Toronto Police Association

31 janvier 2023

Service de police de Toronto

31 janvier 2023

Women in Canadian Criminal Defence

31 janvier 2023

 

 

[1] Selon Statistique Canada, la population adulte en détention provisoire dans les établissements correctionnels de l’Ontario en 2020-2021 représentait 77 % de toute la population adulte en détention (provisoire ou après condamnation). Les données historiques indiquent que des années 1980 à la fin des années 1990, le taux de détention provisoire est passé de 20 % à 39 % – voir Statistique Canada, Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes et les jeunes au Canada, 2018-2019 (21 décembre 2020) et Comptes moyens des adultes dans les programmes correctionnels provinciaux et territoriaux (20 avril 2022).

[2] Selon Statistique Canada, en 2020-2021, « [l]es adultes noirs représentaient environ 5 % de la population adulte en Ontario, mais y comptaient pour 14 % des admissions en détention et 8 % des admissions aux services communautaires » – voir La surreprésentation des personnes noires dans le système de justice pénale canadien (15 décembre 2022). En 2021, les peuples autochtones comptaient pour 2,9 % de la population ontarienne, mais pour 17 % des admissions en détention – voir Profil du recensement de 2021 (1er février 2023) et Admissions des adultes en détention aux programmes des services correctionnels selon l'identité autochtone (20 avril 2022).

[3]Loi constitutionnelle de 1867, par. 91(27).

[4]Code criminel, al. 515(10)a) à c).

[5]Code criminel, par. 515(6).

[6]R. c. Morales [1992] 3 R.C.S. 711.

[7]R. c. Antic [2017] 1 R.C.S. 509.

[8] Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(14).

[9] Loi sur l’administration de la justice, art. 1.

[10] Gary T. Trotter (2013). Understanding Bail in Canada. Toronto : Irwin Law, p. 7.

[11] Loi sur les services policiers, par. 4 (1) et (2).

[12] R. c. Gladue (1999), 133 C.C.C. (3d) 385.