Gagnants 7e et 8e années

7e ET 8ANNÉE – MENTION HONORABLE
MA GRAND-MAMAN
ELLA BLACK

Je me réveille en larmes au beau milieu de la nuit. J’ai du mal à respirer. Je fouille ma chambre du regard à la recherche d’un objet familier qui pourrait me rassurer et me calmer. Mon cœur bat la chamade. Tout ce que je souhaite, c’est d’effacer les cauchemars de ma mémoire.

C’est arrivé il y a plus d’un an, mais j’en rêve encore.

Ma grand-maman est morte du cancer en septembre quand j’étais en sixième année. Elle en était atteinte depuis longtemps quand nous avons appris qu’elle était malade; elle est morte deux semaines après que le médecin le lui ait annoncé. D’une certaine manière, j’ai l’impression qu’elle s’en doutait déjà. Même si j’ai souffert quand elle est morte, le plus dur a été d’apprendre qu’elle allait mourir.

Je n’oublierai jamais ce jour. Ma tante et moi étions allées à Vaughan Mills acheter des vêtements pour ma rentrée. C’était notre tradition annuelle à toutes les deux. Cette année-là, ma tante m’avait proposé d’aller au parc d’attractions Canada’s Wonderland après notre séance de magasinage, puisque nous étions tout près. J’étais surprise, mais je n’ai pas protesté : quel enfant de onze ans refuserait une telle offre? Nous nous sommes bien amusées, ce qui a rendu ce qui est arrivé ensuite encore plus douloureux.

Nous avons fait des tours de manège et mangé des beignets amish, puis nous sommes retournées à la maison. Dès que je suis rentrée, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Toute ma famille était dans le salon. Ma mère était assise sur le canapé près de mon père, en pleurs. Ma sœur était assise sur le bord du canapé. Elle avait les yeux rouges et le visage défait. Je leur ai demandé et redemandé ce qui se passait, sans obtenir de réponse. Mon père a dit qu’il voulait me parler un instant. Nous sommes donc allés sur la véranda. Devant nous, le lac scintillait sous la lumière lunaire. Mon père m’a demandé de m’asseoir, puis il m’a annoncé la nouvelle : grand-maman a le cancer, il ne lui reste plus longtemps à vivre. En fixant le lac, je n’ai pu m’empêcher de penser au surnom de grand-maman – la Dame du lac. Étrangement, j’étais contente d’apprendre qu’elle était mourante devant l’endroit où elle se sentait le plus chez elle.

Je crois que je n’ai jamais autant pleuré que ce soir-là. Je ne pouvais tout simplement pas admettre que ma grand-maman, qui habitait à quelques maisons de chez nous et que je voyais presque tous les jours, ne serait bientôt plus avec moi. Quelle injustice! Pourquoi est-ce que c’est à moi que ça arrive? Je n’ai pas trouvé de réponses à ces questions ce soir-là, et je n’en ai toujours pas maintenant. Par contre, j’ai tout de suite su que j’allais devoir profiter au maximum du temps qu’il nous restait ensemble. Comme je suis contente de l’avoir fait! Je souris quand je repense à nos dernières semaines ensemble, car je sais que nous nous sommes dit tout ce que nous avions à nous dire. Quand elle est partie, c’est parce que le moment était venu.

Le jour où elle est morte s’est passé comme le jour où j’ai appris qu’elle avait le cancer : j’ai passé une belle journée, suivie d’une horrible soirée. Ma tante est venue me chercher à l’école, où j’avais passé la journée à grimper à la corde et à discuter avec mes amis. Dès que je l’ai vue, j’ai su que grand-maman était partie. Nous nous sommes mises à pleurer pendant le trajet et ne nous sommes plus arrêtées.

Ont suivi les condoléances, les funérailles et la messe commémorative, durant lesquelles je m’accrochais à chaque souvenir de grand-maman. Je refusais d’admettre qu’elle était morte; chaque fois que j’y pensais, je fondais en larmes. Puis les cauchemars ont commencé. Je rêvais souvent à grand-maman. Je me souviens d’un rêve en particulier.

Je suis à l’épicerie avec ma mère. Nous faisons la queue à la caisse quand je vois grand-maman passer les portes coulissantes, deux billets d’avion en main. Elle s’approche de ma mère, lui dit qu’elle revient de voyage, et à quel point elle est heureuse. Elle dit que la prochaine fois, ma mère devrait partir avec elle. Je suis d’un naturel inquiet et j’ai tendance à lire entre les lignes. À ce moment, j’ai eu l’impression que ma mère était la suivante, que je risquais de la perdre bientôt. J’en ai perdu le sommeil. J’avais déjà du mal à admettre la mort de grand-maman; l’idée de perdre un autre proche me glaçait le sang.

Deux événements m’ont aidée à faire le deuil. En faisant du ménage dans ma chambre, j’ai trouvé une boîte pleine de souvenirs sous mon lit. À l’intérieur, il y avait une carte postale de grand-maman. De son écriture rassurante, elle m’avait écrit : « Je m’amuse beaucoup ici. Je t’aime, Grand-maman Black ». Je me suis mise à pleurer, mais j’ai su que j’étais destinée à trouver cette lettre à ce moment précis. Je me suis dit qu’elle était peut-être quelque part dans l’univers et qu’elle me regardait en souriant. Cette pensée m’a redonné espoir, ce dont j’avais grand besoin.

Le deuxième événement est arrivé récemment. J’ai encore rêvé de grand-maman, sauf que cette fois-ci, ce n’était pas un cauchemar. Nous discutons dans une voiture. Elle me dit qu’elle doit partir et qu’elle ne pourra plus venir me voir. Je veux lui demander pourquoi, mais je n’arrive qu’à murmurer. Elle se lève, et juste avant de disparaître, elle me dit qu’elle m’aime. À mon grand bonheur, je n’oublierai jamais ce rêve.

Quand grand-maman est morte, toute ma vie a changé. Elle faisait partie de moi. Pas une journée ne passe sans que je pense à elle. Toutefois, j’ai compris quelque chose : je ne pourrai jamais changer le passé, je ne pourrai jamais remonter le temps pour la sauver. Toutefois, je sais qu’elle restera toujours avec moi grâce à tous les bons souvenirs que j’ai d’elle. Elle me manquera toujours, car elle était tellement importante pour moi, mais je sais que je vais m’en sortir. Pendant les périodes les plus sombres, il est difficile de croire que les choses iront mieux un jour. Et pourtant. Une fois la tempête traversée, il ne reste que les beaux souvenirs. À mon avis, c’est ce qui importe le plus.

 

7e ET 8ANNÉE – GAGNANTE
LES MOTS DE CEUX QUI SOUFFRENT
JILLIAN CLASKY

Parfois, un cœur brisé est mille fois plus douloureux qu’une blessure physique.

Les messages sont tous différents, certains expriment de la souffrance et du désespoir : « Aujourd’hui, je souffre tellement que je ne ressente plus rien. » D’autres sont animés d’une détermination revancharde, « Ils se moquent de moi, ils me ridiculisent et ils tentent de me briser, mais je suis, qui je suis et un jour, c’est moi qui les briserai. »

En apparence, tout semble parfait, radieux. Des élèves souriants en uniformes BCBG s’amusent sur des pelouses impeccables, rigolent en regardant par des fenêtres immaculées, sourient en déambulant dans des couloirs fraîchement peints pour se rendre dans des classes récemment rénovées. Tout le monde tombe sous le charme de l’école privée la plus prestigieuse de la ville, même les jeunes qui y font leurs études secondaires.

Toutefois, sans que ça paraisse, il y a des élèves qui ne se sentent pas à leur place parmi ces adolescents enjoués et studieux en jupes plissées et en gilets en tricot. Le sous-sol de l’école leur sert de refuge. C’est un endroit où ils peuvent se réfugier quand ils se sentent rejetés partout ailleurs. C’est un abri pour la fille qui ne porte que des manches longues pour dissimuler les blessures qu’elle s’inflige, une cachette pour le garçon qui se fait plaquer contre les casiers parce qu’il aime les garçons, un asile pour la fille qui s’affame tout en se cachant sous des chandails à capuchon et en teignant ses cheveux, un havre de paix pour le garçon qui a peur des autres parce qu’il a été maltraité et abandonné par son père.

Pour moi, c’est l’endroit où je me rends quand je me sens seule et mal-aimée, même si, en apparence, ma vie semble parfaite. Les murs du sous-sol sont couverts de messages d’adolescents comme moi, qui ont traversé de telles épreuves et qui y ont survécu. Exprimant l’amour aussi bien que la haine, ils sont tour à tour vulgaires et inspirants, choquants et passionnés. En tout cas, ils me font sentir moins seule.

Longtemps, je n’ai pas osé écrire mon propre message. J’avais peut-être trop peur de montrer qui j’étais réellement, ou de faire face à mes sentiments en les couchant par écrit. Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains.

Même si le mot que j’ai ajouté à la collection de messages de douleur et d’espoir est simple, je l’ai travaillé pendant des semaines avant d’oser sortir mon marqueur noir. Des fois, les voix que j’entends sont trop fortes : elles me rappellent mes faiblesses et mes échecs et enterrent les rares compliments que je reçois. J’essaie de les faire taire, mais elles sont toujours dans ma tête à se moquer de moi. Elles font partie de moi.

Je pénètre donc dans cette pièce sombre et silencieuse, oubliée depuis longtemps par les enseignants, le directeur et le concierge. L’odeur de moisi est difficilement supportable, et la poussière qui flotte dans les airs rend la respiration difficile. Je tire la chaîne qui pend à côté de l’ampoule à l’ancienne et une lumière jaune un peu inquiétante illumine la pièce. Les murs sont tellement couverts que certains messages sont presque illisibles. Toutefois, il y a un message écrit en rouge qui ressort de cette multitude de mots écrits en noir.

Directement sous ce que j’ai écrit se trouvent ces quatre mots écrits à l’encre rouge sang : « Je les entends aussi. » Je suis pétrifiée, trop surprise pour bouger. Quelqu’un m’a répondu. Quelqu’un a vu mon message et l’a compris. Quelqu’un d’autre dans le monde vit la même chose que moi.

Pour la première fois, je sens qu’il existe un endroit où je serais à ma place. Il suffit que je le trouve. Voici ce que j’écris : « Nous ne sommes peut-être pas seuls après tout. »

Je n’ai pas visité le sous-sol depuis une semaine. Finalement, je décide de retourner dans cet endroit tranquille où je me sens chez moi. Pendant des mois, j’ai passé des heures ici, cachée au beau milieu des messages écrits par des gens comme moi, sans jamais croiser qui que ce soit. Jusqu’à aujourd’hui.

À ma grande surprise, elle ouvre la porte juste quand je m’apprête à entrer. Je la reconnais immédiatement. Tout le monde la reconnaîtrait : c’est l’une des filles les plus populaires, la reine de l’école. Le genre de fille qui a les meilleures notes, qui remporte tous les prix et qui ne manque jamais une fête ou une activité. Elle est présidente du conseil d’élèves et chef de l’équipe de meneuses de claque. En plus, elle est gentille, ouverte, intelligente et drôle; tout le monde veut être son ami.

Personne ne bouge. Elle me regarde. Elle a les yeux écarquillés de stupeur. Elle jette un regard au petit corridor qui, soudainement, semble se refermer sur moi. Elle pense peut-être que je vais ruiner sa réputation en allant dire à tout le monde que malgré son apparence parfaite censée refléter son équilibre physique et mental, elle est tout aussi dérangée que les autres.

Elle remue les lèvres, tente de dire quelque chose, sans trouver les mots. Elle finit par marmonner qu’elle est désolée, puis s’enfuit en hâte. J’ai tout de même le temps de remarquer qu’elle tient un marqueur rouge.

J’entre dans la pièce, mon cœur battant la chamade. Je prends une grande respiration et jette un regard aux murs. Rien ne semble avoir changé, je ne vois aucun message en rouge. Je me dirige quand même vers l’endroit où j’avais laissé mon premier message. En passant mes doigts sur le mur, je remarque quelque chose sous mon dernier message, un seul mot à l’encre rouge qui brille pourtant comme une lueur d’espoir au beau milieu des mots de ceux qui souffrent.

« Peut-être »

Les pelouses sont toujours impeccables et les fenêtres brillent toujours au soleil tandis que je sors de l’école, mais maintenant, tout a changé. Je la vois sortir de l’école, un marqueur rouge glissé dans la poche arrière de ses jeans gris foncé. Elle éclate de rire, mais je sais que son sourire est en réalité un bouclier.

Tout comme le mien.