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Anwar Knight : La journée commence par un moment spirituel. Avant une journée de session parlementaire, le député Sol Mamakwa effectue une cérémonie de purification.
Sol Mamakwa : Ma présence ici n’est qu’une partie de ce que je peux faire pour rapprocher les gens.
Anwar Knight : Sa circonscription est celle de Kiiwetinoong. Cela signifie « nord » en ojibwé. S’étendant sur plus de 294 000 kilomètres carrés dans le nord-ouest de l’Ontario, elle est la plus grande circonscription de la province et regroupe un peu plus de 32 000 personnes.
Sol Mamakwa représente 31 Premières nations, dont 25 ne sont accessibles qu’en avion. C’est le cas de sa propre communauté, de Kingfisher Lake. Selon lui, la vue aérienne remet tout dans son contexte.
Sol Mamakwa : Je pense souvent à quel point nous sommes riches. Les terres, les lacs, les sources, les rivières et les animaux qui y vivent, les poissons, toutes les plantes et les arbres... Quelle richesse. Et d’un autre côté, quand je me rends auprès d’une communauté Première Nation, une réserve, je vois la pauvreté, le cout de la vie et les problèmes.
(Extrait de la Chambre)
Anwar Knight : Mai 2025 marquait le premier anniversaire d’un évènement historique pour la province : monsieur Mamakwa s’est adressé à la Chambre en anishininiimowin.
(Extrait de la Chambre)
Sol Mamakwa : Je me suis surpris à attendre que le président m’expulse de la Chambre. J’avais l’impression d’enfreindre le Règlement. Il m’a fallu 2-3 minutes pour me ressaisir. Et je me suis senti si... c’était incroyable de pouvoir parler librement. Comme si on m’avait retiré des chaînes.
Anwar Knight : La route pour arriver à ce moment a été longue et marquée par une douleur et une résilience profondes. Dans le pensionnat où il a passé son adolescence, il était réduit au silence. Sa langue était plus qu’interdite, quiconque la parlait était puni.
Sol Mamakwa : La langue c’est un mode de vie. C’est notre pouvoir. C’est notre identité.
Anwar Knight : Dans le couloir principal de l’édifice de l’Assemblée législative sont gravés dans le marbre les noms de chaque député depuis 1867.
Je voulais vous emmener ici, près de ce mur de marbre.
Sol Mamakma : Je l’appelle la roche éternelle.
Anwar Knight : Le nom de monsieur Mamakwa s’y trouve également. Mais le sien a quelque chose d’unique.
Sol Mamakwa : Vous savez c’est ça ma langue natale. Ça, c’est ma deuxième langue. Cette question fait partie de mon identité. Ma langue fait partie de ce qui me rend fier d’être moi-même et je suis fier de la parler. C’était une époque, à un moment dans la vie, où... on ne se sait pas encore qui on est. Aujourd’hui nous sommes fiers.
Anwar Knight : Et cela va améliorer les choses?
Sol Mamakwa : Oui, nous aider à être fiers et à être forts.
Anwar Knight : Juste avant de prendre la parole, monsieur Mamakwa a brandi une plume d’aigle. C’était un cadeau de la part d’un chef de la Première Nation de Garden River, un symbole et un rappel du chemin à parcourir.
Sol Mamakwa : Une des choses qu’il m’a dites était « c’est pour que tu continues à parler notre langue, pour que tu nous représentes tous. »
Anwar Knight : Les prémices de ce moment incroyable se sont déroulées ici, dans le sous-sol de Queen’s Park, dans cette salle à manger. Sol Mamakwa participait à une réception en soirée. Il y avait prononcé quelques remarques en oji-cri en sachant que les autres participants ne le comprendraient pas, et puis les a traduites.
Sol Mamakma : Une des choses que j’ai dites c’est que je trouve dommage de ne pas pouvoir parler ma propre langue en haut, dans la Chambre.
Anwar Knight : Monsieur Calandra, qui était à l’époque leader parlementaire du gouvernement était également présent à cette soirée.
L'hon. Paul Calandra : Sur le moment j’ai été frustré d’entendre ça, j’ai cru qu’il avait tort.
Anwar Knight : Le lendemain matin, alors qu’il prenait son café à la cafétéria, monsieur Callandra a aperçu monsieur Mamakwa.
L'hon. Paul Calandra : Je suis allé lui parler, j’ai dit « Sol, tu te trompes complètement. » « Évidemment que tu peux parler ta langue. »
Sol Mamakwa : J’ai répondu « non je ne peux pas, j’ai essayé et réessayé, mais ils m’interrompent après 20 secondes. »
L'hon. Paul Calandra : Et quand je suis allé prendre mon café, un de mes assistants qui m’accompagnait m’a dit « il a raison. »
Le temps d’acheter mon café, je suis ressorti, je suis retourné lui parler et j’ai dit « tu as raison, j’ai tort, et on va changer ça. »
Anwar Knight : Les deux députés ont alors collaboré pour enclencher le processus formel d’amendement du Règlement de l’Assemblée législative, qui autorisait déjà le français et l’anglais, et d’y ajouter les langues autochtones.
L'hon. Paul Calandra : On ne voulait pas que ce soit une occasion unique. On voulait un véritable changement qui permettrait à monsieur Mamakwa ou tout autre député originaire d’une Première Nation de venir parler leur langue.
Anwar Knight : Cela nécessitait également d’interpréter l’oji-cri en simultané.
(Extrait de la Chambre)
Anwar Knight : Ainsi que de transcrire dans le Journal des débats dans la même langue.
L'hon. Paul Calandra : C’était un énorme projet. Et je suis très fier que l’Assemblée y soit parvenue, que nous ayons été capables de mettre cela en place aussi vite et de la manière ont cela s’est déroulé. Je pense que cela peut servir d’exemples à beaucoup d’autres parlements.
(Extrait de la Chambre)
L'hon. Paul Calandra : C’était sans aucun doute un des meilleurs moments que j’ai vécu au parlement, aussi bien provincial que fédéral.
(Extrait de la Chambre)
Anwar Knight : Sol Mamakwa a consulté sa famille, dont sa sœur et sa mère, pour décider unanimement du moment de sa prise de parole. La date : le 28 mai 2024, le jour de l’anniversaire de sa mère.
Sol Mamakwa : C’était si important, si émouvant, si... si euphorisant. Mais il nous a fallu six ans pour y arriver.
On l’a fait pour celles et ceux qui ont perdu leur langue. Pour les enfants qui grandissent aujourd’hui sans la parler. Pour tous les gens qui veulent renouer avec leurs racines et leur langue. C’est si important, vous savez, cela montre le besoin de se recentrer sur notre identité et sur notre origine. Je le vois tous les jours, des enfants qui ne parlent pas notre langue. Parfois ils la comprennent. Et je pense souvent à ceux qui parlent l’anishinaabemowin, l’oji-cri, nous ne sommes plus très nombreux.
Anwar Knight : Dans sa région natale, ses commettantes et commettants l’appellent la Voix du Nord. Et pour la première fois, cette voix a réellement été entendue. Bien qu’une avancée capitale ait été réalisée en ce qui concerne la retranscription officielle en anglais, français et oji-cri, l’interprétation en simultanée reste un défi.
Un avis anticipé est toujours nécessaire pour permettre de trouver un interprète, ce qui complique toute participation spontanée. Mais Kiiwetinoong et monsieur Mamakwa gardent espoir.
Sol Mamakwa : Des gens me soutiennent. Un jour, il y aura des services exhaustifs de traduction pour toutes ces langues. Et je pense que c’est un de mes objectifs pour mon mandat, d’avoir un service d’interprétation à temps plein avant mon départ.
Anwar Knight : Anwar Knight, pour l’Assemblée législative de l’Ontario.
