Gagnants 11e et 12e années

11e et 12e année – MENTION HONORABLE
GROSSE
CINDY WANG

Je suis grosse. C’est vrai, même si personne n’ose me le dire en pleine face. À la place, on me dit que mon gras de bébé est mignon, que mes formes pleines me vont bien. Mais je comprends très bien les sous-entendus lorsqu’on parle de mes courbes.

Je le vois immédiatement sur les visages quand j’ai oublié de rentrer mon ventre de femme enceinte. Les yeux semblent naturellement attirés par les bourrelets qui dépassent de la taille de mon pantalon, par les plis de graisse qui se forment quand je bouge le bras ou la jambe, par mes grosses joues qui écrasent mon nez de cochon quand je souris. Je suis consciente de tous les regards.

Même bébé, je n’étais pas jolie. Les adultes parlaient dans le dos de mes parents : ils sont plutôt beaux, pourquoi ont-ils eu une fille à ce point grosse et moche? Tous s’émerveillaient devant les autres bébés, ceux qui étaient mignons. Devant moi, leur émerveillement était forcé et feint pour faire plaisir à mes parents.

Durant les premières années de l’école élémentaire, les élèves se moquaient de mon poids. Par conséquent, j’avais peu d’amies. Les autres filles ne voulaient pas jouer avec moi. À la récréation, elles faisaient de la gymnastique en sachant très bien que j’étais incapable de reproduire leurs gracieuses roues et leurs élégants saltos. Comparée à elles, je me sentais comme une géante maladroite. Je me souviens m’être sentie tellement seule, car ma seule compagne était Julie, mon amie imaginaire. J’ai cru que je pourrais m’en sortir en agissant comme un garçon manqué, comme si je ne me souciais pas de mon apparence. La partie était perdue d’avance, autant prétendre que le jeu ne nous intéresse pas.

Mes parents voulaient désespérément m’aider à perdre du poids et à être en santé. Leurs intentions étaient bonnes, mais leurs rappels incessants que je devais faire attention m’énervaient. Quand je me resservais, ils me demandaient si j’avais vraiment encore faim. Après un repas particulièrement copieux, ils me disaient d’aller faire de l’exercice. Chez nous, il n’y avait jamais de dessert après le repas. J’avais tellement peur de manger que je demandais toujours l’approbation du regard avant de tendre mes baguettes vers les plats.

Au fil des années, j’ai eu de moins en moins confiance en mon corps. J’avais l’impression que les garçons m’aimaient moins que les autres filles. J’étais constamment gênée et honteuse. Chaque regard dans le miroir était source de dégoût envers moi-même. Mes cuisses grasses me faisaient défaillir. J’étais toujours fâchée, sensible et agressive, moins envers les autres qu’envers moi-même. Je me détestais pour mon incapacité à perdre du poids. Je me détestais parce que je n’étais pas assez forte. Je me détestais parce que je décevais mes parents.

Mes amies savaient que je n’étais pas heureuse. Je me plaignais constamment de mon apparence, je parlais tout le temps des livres que j’allais perdre. Elles ont essayé de me convaincre de ne pas être obsédée par mon poids. Elles me disaient que j’étais belle, mais je ne les croyais pas. Je ne pouvais pas les croire. Mes parents m’avaient appris que les gens mentaient pour être gentils. Je me suis convaincue qu’elles me cachaient la vérité par politesse.

Je me suis donc tournée vers des méthodes non conventionnelles. Au cours de mes deux premières années d’école secondaire, mon poids a varié de dix livres. Je me privais en sautant des repas et en jetant mes dîners, que je prétendais ne pas aimer. Chez moi, comme j’étais évidemment affamée, je me gavais de tout ce qu’il y avait dans le frigo, même les aliments que je n’aimais pas. Après, je me sentais tellement coupable et répugnante que je m’enfonçais l’index dans la gorge afin de vomir le tout dans la toilette. Je me promettais toujours d’arrêter d’être boulimique et de perdre du poids correctement, mais d’une manière ou d’une autre, je retombais dans ce cycle.

J’ai atteint le fond du baril un samedi, alors que je faisais du bénévolat à un kiosque de réception. Le va-et-vient dans l’édifice venait de cesser. Même si j’avais bien dormi la nuit d’avant, j’ai soudainement été frappée par une vague de fatigue. J’ai décidé de poser la tête sur la table pour me reposer une minute. Je suis restée comme ça 20 minutes.

J’étais coincée.

Alors que je perdais et reprenais connaissance, mon corps était complètement paralysé. Mes bras et ma tête pesaient une tonne. Je me sentais étourdie et nauséeuse même si j’étais immobile. Je n’avais même pas la force de me relever. J’ai essayé de bouger pendant un certain temps jusqu’à ce que ma superviseuse se rende compte que quelque chose n’allait pas. Elle m’a secouée pour me réveiller et m’a forcée à manger du pain et du beurre. Tout de suite après avoir dévoré la nourriture, je me sentais mieux. C’était l’un des moments les plus effrayants de ma vie.

Après cet incident, j’ai mis fin à mes habitudes malsaines. Ce que les gens pensent de mon corps n’a aucune importance. Je n’ai pas besoin de perdre du poids pour plaire aux autres au point de mettre ma santé et mon bonheur en danger. Je me suis aussi rendu compte que je m’en étais fait pour rien toutes ces années. Excepté mes parents et moi-même, personne ne me trouvait grosse. Tous les regards que je croyais avoir captés étaient le fait de mon imagination débordante.

Cela fait déjà un moment que j’ai entrepris d’accepter mon apparence. Honnêtement, chaque jour est un défi, surtout quand je vois mon acné dans le miroir et que je sens mes cuisses s’écraser quand je m’assois. Se sentir bien dans sa peau demande des efforts, mais j’ai compris que nous étions tous dans le même bateau. En humains égocentriques, nous avons tendance à être extrêmement critiques envers nous-mêmes, mais nous oublions que la plupart des gens sont trop absorbés par leurs propres insécurités pour accorder la moindre attention aux défauts des autres. Évidemment, il est impossible d’éliminer complètement cette tendance à l’autocritique. Nous pouvons toutefois créer des espaces sécuritaires et des réseaux de soutien partout où nous allons. Nous devons nous apprendre mutuellement à nous aimer nous-mêmes.

Je suis prête à m’engager à m’aimer pour le reste de ma vie. Et vous?

11e et 12e ANNÉE – GAGNANTE
DÉRAILLÉ
MACKENZIE EMBERLEY

Quand je me suis évanoui, ce n’était pas aussi cool que je l’aurais cru. Je n’ai pas vu le paradis, je n’ai pas vécu d’expérience extracorporelle et à mon réveil, personne ne m’éventait. À vrai dire, il n’y avait personne avec moi quand je me suis réveillé, ce qui est assez déprimant. Je me suis carrément effondré au beau milieu d’une station de métro achalandée. J’aurais cru qu’au moins une personne se pencherait sur mon corps inanimé en se demandant pourquoi je m’étais évanoui.

Après m’être remis du fait que s’évanouir n’est pas comme à la télé, j’ai remarqué en m’assoyant qu’il se passait quelque chose de vraiment bizarre. J’étais par terre, sur le plancher sale de la station et tout le monde faisait comme si de rien n’était. Les gens me contournaient comme s’il était normal que quelqu’un soit assis au beau milieu de la place quelques instants après avoir repris connaissance. Personne ne m’a tendu la main pour m’aider à me relever, ou même demandé si j’allais bien. Je n’ai même pas vu de gens murmurer en me pointant du doigt. Bon, d’accord... Tout cela est parfaitement normal. Poursuivez, il n’y a rien à voir, juste un drôle d’adolescent qui s’est évanoui dans un lieu public.

Ce doit être la Journée internationale de l’inaction quant aux adolescents évanouis au beau milieu d’une station de métro. Je décide finalement de me lever. J’époussette mes vêtements et commence à marcher en suivant la foule. Je ne me souviens pas pourquoi j’étais dans le métro, mais cela n’a plus d’importance. L’important était de comprendre ce qui se passe. Plus j’observe les alentours, plus je suis désorienté. La foule se sépare pour me laisser passer et je n’accroche pas les gens comme c’est habituellement le cas quand la station est aussi bondée. Tout le monde s’ôte tranquillement de mon chemin sans même me remarquer. Autre étrangeté, il n’y a pas le moindre son. C’est comme si j’étais devenu sourd ou si quelqu’un avait mis ma vie entière en sourdine. Tout ça est de plus en plus louche. Je n’entends ni les métros qui passent, ni les gens qui parlent autour de moi, ni la foule qui marche dans la station. C’est quand je me dis que ce qui a causé mon évanouissement m’a également rendu sourd que je commence vraiment à avoir peur.

J’ai la tête qui cogne, le cœur qui bat la chamade et le souffle court. Pourquoi est-ce que personne ne me remarque? Pourquoi est-ce que je n’entends rien? Et si j’étais mort? Quand cette possibilité me traverse l’esprit, elle me semble très plausible. J’ai vu plusieurs films dans lesquels l’esprit des morts marche inaperçu au beau milieu des vivants. Je m’efforce de trouver une meilleure explication parce que je ne veux pas être mort.

Choisissant d’ignorer la possibilité que je sois un fantôme, je me dis que je suis probablement paranoïaque, que je réagis de façon exagérée. Ce n’est pas comme si les gens avaient l’habitude de me remarquer. Les gens se soucient peu des quidams dans le métro. Cette tentative d’explication logique est tirée par les cheveux, mais elle est la seule chose qui m’empêche de retomber dans les pommes.

Un autre truc qui cloche, tiens, l’évanouissement. Je ne me souviens pas m’être cogné la tête, ni même avoir perdu connaissance. Je me souviens seulement m’être extirpé d’un sommeil très profond sans avoir la moindre idée de ce qui se passait.

La frustration et la colère s’emparent de moi. Ce n’est vraiment pas drôle d’être sourd et invisible en même temps, c’est effrayant et déroutant. En vain, je me frappe la tête pour réveiller mes sens. Si les gens pouvaient me voir, j’aurais l’air d’un idiot.

« Ne vous en faites pas, tout le monde, je vais bien. Je suis simplement en train de devenir fou pendant que vous vaquez à vos occupations! » Mes cris résonnent tandis que je saute sur place.

Comprenant qu’il ne me sert à rien de m’énerver, je me calme, reprends mon souffle et ralentis. J’essaie de toucher d’autres personnes, mais elles flottent tranquillement dans la direction opposée. Leurs mouvements sont dénués de toute agressivité, elles ne semblent donc pas m’éviter délibérément. On dirait plutôt que l’univers m’a donné les moyens de passer inaperçu. Mon corps est un obstacle que personne ne peut traverser. Il est physiquement impossible que quelqu’un me rentre dedans accidentellement.

Alors que mes pieds me transportent ailleurs, je suis soudainement pris d’une douleur aiguë au ventre. C’est comme si on m’avait poignardé au côté droit de l’abdomen. Plié en deux, j’essaie de palper la blessure inexistante. Évidemment, personne ne remarque que j’ai mal, mais cela ne m’empêche pas de souffrir le martyre. Je me couche par terre et pousse un cri. Grimaçant de douleur, je soulève ma chemise et presse ma main contre ma peau. Étrangement, je ne vois ni plaie, ni sang. Pourtant, je touche du sang. Mes doigts baignent dans un liquide chaud et épais, mais je ne vois pas de sang sur mon abdomen et mes mains ne sont pas tachées.

Bon Dieu, mais qu’est-ce qui se passe? Il y a vraiment quelque chose qui cloche! Je me lève lentement et commence à courir le plus vite possible, ignorant ma blessure invisible. Pendant que je cours sans but, ma tête pivote brutalement sur le côté, faisant plier mon cou. La douleur envahit mon visage, et ma tête tout entière se met à palpiter. Je touche mon nez, d’où gicle du sang fantomatique; dans ma bouche, je sens de la chaleur et un goût métallique. Tout à coup, mon corps tout entier se met à hurler de douleur. Des pointes de feu me percent les jambes, la poitrine, l’abdomen et la tête de façon aléatoire. Même si je me tords de douleur, j’essaie de combattre la force invisible assez longtemps pour comprendre cette folie.

Malgré ma vision embrouillée, j’aperçois sur le quai une scène qui me fait momentanément oublier ma douleur. Au beau milieu de la foule, un groupe de personnes entoure quelque chose. C’est le chaos, certaines personnes crient (enfin, semblent crier), d’autres se bousculent, certaines rient et d’autres parlent nerveusement au téléphone.

Je contourne aisément les badauds pour m’approcher de l’action. En un instant, j’ai traversé la foule et je vois ce qui se passe : trois hommes d’allure intimidante entourent un pauvre type affalé sur le sol. Le trio tabasse le pauvre homme, qui semble à deux doigts de s’évanouir. Ils le rouent de coups de pied et de poing tandis que la foule regarde la scène sans intervenir.

Je m’approche du massacre pour y mettre fin – oubliant que j’étais invisible pour tout le monde –, mais je m’arrête soudainement. Les agresseurs se sont déplacés, me permettant de voir la victime. C’est moi!

Je suis étendu sur le sol, ensanglanté et sans défense. Mon ventre saigne abondamment à cause du couteau qui est planté dedans, et mon visage est couvert de sang, qui coule à gros jets de mon nez. Une ecchymose mauve foncé se répand sur ma tête. Mon corps tout entier semble cassé.

Je me sens malade et souffrant. Je tombe à genoux devant moi-même et commence à respirer à toute vitesse. Je pleure, je hurle et je tremble en me voyant me faire battre à mort. Mon seul espoir, c’est que les gens au téléphone soient en train d’appeler le 911.

À ma grande surprise, j’arrive à toucher mon propre corps. Je place une main sur ma tête et l’autre sur ma poitrine. Mon cœur bat, mais très faiblement. J’ai les yeux fermés et je suis immobile. Je sens quand même un léger souffle sortir de ma bouche, et je vois ma poitrine se soulever et s’abaisser. Je sais qu’il ne me reste pas grand temps. Même si une ambulance est en chemin, elle arrivera trop tard, parce que mes agresseurs continuent à me rouer de coups. Si personne ne fait rien, ces trois fous furieux m’auront tué avant que les secours n’arrivent.

C’est une sensation étrange, pleurer en appuyant la tête contre sa propre épaule. Je comprends à ce moment que les gens sont irrémédiablement égoïstes et que si je veux survivre, je dois prendre les choses en main. Je me lève, laissant mon corps où il est. Mon plan est simple, mais loin d’être infaillible : je dois tuer mes assaillants. Pendant un instant, je me demande si je suis capable de tuer quelqu’un, même si c’est pour sauver ma vie. Je remarque alors que les trois salauds sourient en me battant. Ça achève de me convaincre. C’est un cas de légitime défense, et ces trois bandits méritent bien de mourir pour s’en être pris à un innocent sans la moindre raison. Je dois me protéger et punir ceux qui font le mal. Je comprends que toute cette étrange expérience est une chance que l’univers me donne de me battre pour sauver ma vie. Je me suis réveillé dans cet état spectral inexplicable afin de me sauver de mes agresseurs.

Mon plan comporte un problème majeur. Comment vais-je tuer mes assaillants si je ne peux pas les toucher? Je donne un coup de poing à l’un d’eux, mais je n’arrive pas à toucher son visage. Je saute sur un autre, mais il se déplace soudainement et je me retrouve propulsé vers la voie du métro. Suspendu au-dessus des rails, la moitié du corps dans les airs, j’ai soudainement une idée : si je ne peux toucher mes assaillants, ma seule chance est de les faire tomber sur les rails.

Je m’éloigne de la voie et me place devant l’un des hommes, qui frappe mon corps avec application. J’étends mon bras vers le sien et, comme prévu, il s’éloigne, mais ne peut plus passer. Excellent, comme il ne peut contourner mon bras étendu, il n’a d’autre choix que de passer de l’autre côté. J’étends mon autre bras de l’autre côté de son corps. Ainsi, il peut seulement reculer. C’est comme faire un calin à quelqu’un d’extrêmement germophobe qui ne peut supporter d’être touché. L’homme ne comprend pas pourquoi il n’est plus capable de me frapper. Je vois les lumières rouges qui annoncent l’arrivée d’un métro et avance rapidement vers l’homme, le forçant à reculer. Il se fâche, mais sa colère se transforme vite en peur quand il se rapproche dangereusement des rails. Je continue d’avancer, et il tombe sur la voie. Il essaie désespérément de remonter, mais il n’y arrive pas parce qu’il s’est blessé en tombant.

Je m’approche du deuxième assaillant et lui fais la même chose. Pendant ce temps, le métro approche. Le salaud l’entend, à en croire l’expression terrifiée de son visage. Il tombe sur son ami, dans ce qui sera bientôt leur tombe. Ils essaient tous deux de remonter sur le quai.

Le dernier assaillant est pétrifié, car il vient de voir ses deux amis tomber sur les rails du métro. Il tremble de peur, puis prend ses jambes à son cou. Ça s’est bien passé en fin de compte. Je remercie le troisième type de m’avoir facilité le travail. Je ne m’en fais pas trop à son sujet, je suis sûr qu’il sera rapidement arrêté.

Je regarde les gens dans la foule; tous ont l’air effrayés ou en état de choc. Le métro arrive à toute allure et percute mes agresseurs. Sur le quai, certains ferment les yeux ou détournent le regard, d’autres sont bouche bée, d’autres s’enfuient. Ils me laissent tous indifférent : mes agresseurs morts brutalement aussi bien que les témoins égoïstes et effrayés. La seule personne qui m’importe, c’est le pauvre type étendu par terre. Je retourne à mon corps et m’agenouille dans mon propre sang. Chaque blessure infligée à mon corps est un feu de douleur. Maintenant que l’adrénaline s’est dissipée, je ressens tout : toutes les ecchymoses, les coupures, les fractures et, heureusement, mon unique blessure à l’arme blanche. Mais la meilleure sensation est le faible battement de mon cœur. Je ferme les yeux et couche mon corps spirituel près de mon enveloppe charnelle en attendant l’ambulance.

Je ne peux dire si ça a pris quelques minutes ou plusieurs heures, mais je suis réveillé par des mains qui agrippent mon corps. J’ouvre les yeux et je vois deux ambulanciers qui me soulèvent et me déposent sur une civière. Soudainement, j’entends les sirènes de l’ambulance et les voix de la foule. Tout est trop fort, les cris, le grondement du métro et la voix de l’ambulancier qui me dit qu’il va me sauver.

C’est trop, trop de choses en même temps, trop de lumière aveuglante. J’inspire profondément, ferme les yeux et m’évanouis paisiblement.